On dit souvent qu’une image vaut mieux qu’un long discours ! Mais c’est quoi une bonne photo ? Comment choisit-on la Une d’un magazine ? Qu’est-ce qui fait un bon photographe ?
Pour répondre à toutes ces questions, je suis allée à la rencontre de Marc Brincourt, rédacteur en chef photo de Paris Match jusqu’en 2017.
Marc est depuis toujours passionné par la photo et chez lui, c’est quelque chose de très familial :
« A 12 ans, mon père, Christian Brincourt, Grand Reporter de la radio et de la télé, lui aussi passionné de photo, m’a offert mon premier appareil photo : un Nikkormat avec un objectif. Je me suis lancé et j’ai tout de suite compris que je voulais faire de la photo. Je me rappelle encore que je lui donnais les bobines et il les faisait développer dans les labos de Match, à l’époque rue Pierre Charron, où Match est né. J’étais fier de mes premières photos !
Ce que j’adorais c’était marcher dans Paris et prendre des photos des gens dans la rue. J’étais aussi totalement fasciné par le cimetière du Père Lachaise qui est un magnifique jardin, j’y passais tout mon temps. J’ai dû faire 10 000 photos du Père Lachaise ! »
C’est au labo de l’agence Gamma que Marc a fait ses débuts de photographe. Une agence où il a rencontré le grand photojournaliste, Michel Laurent, juste avant qu’il soit tué dans les derniers jours de la guerre du Vietnam, en avril 1975, alors qu’il était en plein reportage pour l’agence Gamma.
A cette époque, Marc glaçait les photos. Rappelons, qu’on parle ici de photos argentiques et non numériques. Obtenir un beau glaçage uniforme est une tâche délicate. Il faut que le papier soit essoré jusque comme il faut, c’est à dire pas trop humide, mais pas trop sec non plus, la glaceuse doit être à la bonne température et la vitesse de rotation, ni trop lente ni trop rapide. Bien réalisé, le glaçage permet d’obtenir des noirs aussi profonds que somptueux qui subliment une photo !
Après 2 ans de labo, Marc intègre Central Color, un laboratoire professionnel, où il apprend le métier de développeur et de tireur photos. Une expérience très formatrice, d’un point de vue de la technique photographique, qui lui a beaucoup servi pour la suite de sa carrière. C’est à ce moment-là que le lien avec Match va se créer : lorsque Daniel Filipacchi rachète Paris Match en 1976, il décide de sous-traiter les activités de labo photos à un laboratoire externe qui ne sera autre que….Central Color, auquel il confie les tirages et développements des photos.
Du labo au service photos de Paris Match, il n’y a que 2 étages qui les séparent 😉 Bien déterminé à devenir photographe, Marc fait de nombreux allers-retours tous les jours entre les deux services, se fait connaître des photographes et partage avec eux sa passion pour la photo. 😉 Quelques temps plus tard, il intègre définitivement le service photos de Match et en gravit progressivement tous les échelons jusqu’à devenir le rédacteur en chef photo. Une carrière de 33 ans au service photo de Paris Match !
Sa tâche principale ? Constituer des dossiers. Mais en quoi cela consiste ?
« L’objectif est de raconter un fait d’actualité en photos. Ma spécialité c’était les grands dossiers, comme par exemple les 100 ans de la Guerre 1914/1918, les 50 ans de la création de l’Etat d’Israël, la guerre du Vietnam, le décès d’Henri Cartier-Bresson qu’on appelait « l’œil du siècle »….
A la différence d’autres rédactions, chez Paris Match, lorsqu’on reçoit les photos commandées pour illustrer un sujet, on fait une proposition d’ouverture (la double page d’ouverture, c’est la première photo qui va constituer l’article), on va raconter l’histoire en photos, de manière chronologique et en choisissant des thématiques et on termine par une photo de fermeture. Quand la personnalité est importante, on aura aussi une photo de couverture. Les trois derniers grands dossiers sur lesquels j’ai travaillé sont ceux de Johnny Hallyday, Mireille Darc et Jacques Chirac.
Une fois le dossier photos fini, je le présente au Directeur de Match en salle de conférence de rédaction. Cela va lui donner une idée de la manière dont il va pouvoir traiter le sujet dans le magazine.»
Au-delà des dossiers, Marc s’occupait aussi d’envoyer sur le terrain des photographes et d’acheter des photos. Pour l’anecdote, à l’ère de l’argentique, il voyait environ 1000 photos par jour, aujourd’hui, avec le numérique, ce sont plus de 25 000 photos par jour qu’il compulse ! « Lorsque j’étais de permanence pour le week-end de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques de Pékin, j’ai même reçu 75 000 photos en deux jours ! C’est un vrai challenge. Il faut tout regarder, il ne faut rien louper ! »
Mais alors, c’est quoi une bonne photo ?
« Pour moi, une bonne photo qui peut passer dans Match, c’est d’abord celle que l’on comprend instantanément, au premier coup d’œil, qui n’a pas besoin de 10 lignes de texte pour expliquer ce qui se passe. Elle raconte à elle toute seule l’histoire, l’évènement, la situation…Une bonne photo de Match, c’est aussi l’émotion qu’elle va susciter chez le lecteur. C’est pourquoi, lorsque je choisis une photo, je me mets toujours à la place du lecteur.
C’est le cas de la photo du jeune Aylan Kurdi, un enfant syrien de trois ans, échoué mort sur une plage de Bodrum en Turquie. Lorsque je l’ai reçue et que je l’ai vue, le temps s’est arrêté. J’étais bouleversé. J’ai tout de suite compris que cette photo allait entrer dans l’Histoire. Elle a provoqué une émotion terrible, a suscité de nombreuses réactions dans l’opinion publique et dans la classe politique, et elle a fait le tour du monde en 10 minutes ! »
En poursuivant notre échange sur le métier de photographe, je demande à Marc ce qui fait la différence pour lui entre un excellent photographe et les autres. Sans hésitation, il me confie que « l’essentiel est de poser un regard « curieux » » pour arriver à prendre une photo « un peu à part », avec un angle légèrement différent, ou d’avoir l’œil pour saisir un instant particulier…. C’est ce que j’appelle « le regard oblique », celui qui va chercher à capter le côté extra-ordinaire du monde (au sens de hors du commun, de quelque chose qui n’est pas déjà vu). Cette qualité exige de chercher sans cesse à renouveler sa vision. « Ça, c’est le talent, c’est celui qui a l’œil et ça fait toute la différence ! »
En résumé, un bon photographe journaliste, n’est pas tant celui qui maîtrise la technique, que celui qui « a l’œil », ce que me confirme Marc : « Un bon photographe doit chercher des idées de sujets et réfléchir pour trouver des angles journalistiques. Pour moi, un des meilleurs photographes de Match était Benoît Gysembergh. Pourquoi ? D’abord parce qu’il savait traiter tous les sujets : la politique, le people, la guerre…C’était un excellent observateur, quelqu’un d’extrêmement curieux, et qui s’intéressait à énormément de choses. Tous les matins, son premier réflexe était de faire le tour de l’actualité.
Un jour il m’a proposé un sujet incroyable sur des SDF à Tokyo juste parce qu’il avait repéré un filet dans un journal anglais ou américain. Convaincu qu’il tenait là un bon sujet (Tokyo, cette force économique extraordinaire subissait la crise de plein fouet), il y est allé par ses propres moyens et quand on a vu le sujet, ça a fait 8 pages dans Match ! Un bon photographe c’est aussi celui qui va prendre le temps d’analyser la situation quand il est sur le terrain, pour aller là où les autres ne sont pas. C’est comme ça qu’il fera la différence. »
Pour aller plus loin et mieux comprendre le travail de sélection d’une « bonne photo», j’ai voulu savoir comment on choisit la photo de Une ? Qu’est ce qui fait une « bonne Une » ?
« Une photo de couverture ne colle pas forcément à l’actualité. Déjà il faut savoir qu’environ 70% des lecteurs de Paris Match sont des femmes. Paris Match est un magazine que l’on ramène à la maison, qu’on laisse dans le salon pour y revenir plusieurs fois, on regarde les photos, parfois en famille. C’est pourquoi 90% des photos de couverture de Match sont des personnalités, les images de personnalités ça fait vendre. Mais cela ne veut pas dire que Match est un journal people, on en est très loin.
Après il y a des évènements incontournables, comme le tremblement de terre à Haïti ou au Japon, pour lesquels on ne peut pas mettre une photo de people en couverture. D’un point de vue déontologique, ce ne serait pas correct. Dans ces cas, on choisit une photo de cet évènement en Une, même si on sait que le magazine se vendra moins. On fait ce qu’on appelle « une couverture sacrifiée ». Cela arrive quelque fois dans l’année. »
Après avoir quitté Paris Match il y a trois ans, Marc a gardé des liens étroits avec la rédaction. Il a créé son entreprise « L’œil de Marc » qui s’occupe principalement de l’organisation d’expos et de ventes de photos de Paris Match. Comme par exemple, celle réalisée en novembre dernier à l’occasion des 70 ans de Paris Match.
« Pour sélectionner les 129 photos qui ont été mises aux enchères, je me suis mis à la place de l’acheteur qui vient pour acheter une photo du monde raconté par Match. C’est plus un achat coup de cœur qu’un achat de collectionneur et à 90% c’est pour l’accrocher chez lui.
Donc, quand je choisis les photos, je me dis, celle-ci je la verrai bien dans le salon, telle autre dans la chambre. Une partie de l’argent récolté revient au commissaire priseur qui a animé la vente, une autre va aux photographes et la dernière est versée à mon entreprise « L’œil de Marc », argent que nous réinvestissons dans la numérisation. »
Plus original, Marc donne des conférences autour de photos célèbres de Paris Match pour les passagers de la compagnie du Ponant, une entreprise de croisières de luxe. L’occasion de leur révéler les anecdotes, les coulisses d’une photo et au final, leur en apprendre un peu plus sur l’histoire de Match.
C’est d’ailleurs ce qui passionne Marc : « Ma passion c’est connaître l’histoire de Match à travers la petite histoire qu’il y a derrière chaque photo. Je demandais toujours au photographe comment il avait pris sa photo. Cela m’a nourri pendant toute ma carrière chez Match. Par exemple, il y a une histoire assez incroyable derrière la photo de Kim Phuc, l’iconique petite fille brûlée au napalm par des pilotes sud-vietnamiens, qui symbolisa à elle seule la guerre du Vietnam et ses désastres.
Le photographe Nick Ut qui assista à la scène, pris la photo puis dans la foulée, recouvra le corps de l’enfant d’une couverture et l’emmena dans un dispensaire. Le journaliste anglais Christopher Wain, qui était présent au moment de l’attaque, voulu savoir ce qu’était devenue cette petite fille après son arrivée au dispensaire. Apprenant qu’elle allait mourir dans quelques heures, il téléphona à tous ses contacts pour faire transférer la petite fille dans une clinique militaire américaine.
Pour cela, il fallait obtenir l’accord du ministère sud-vietnamien des affaires étrangères. Celui-ci refusa, rendant fou le journaliste qui se précipita au gouvernement sud-vietnamien. Face au ministre, il sortit un couteau de sa poche et le claqua sur son bureau en s’exclamant : « Cette enfant souffre atrocement. Alors vous savez ce que vous allez faire ? Vous allez l’égorger vous-même pour abréger ses souffrances. » Pris de panique, le ministre accepta finalement de signer l’ordre de transfert. C’est comme ça que Kim Phuc fut sauvée. »
J’ai ensuite demandé à Marc quels conseils il donnerait à un jeune photographe :
« Le premier conseil que je lui donnerais est de ne pas compter sur les autres, c’est-à-dire qu’il ne doit pas attendre systématiquement de la part du rédac chef photo de l’envoyer traiter un sujet, il doit aussi en proposer. Pour se faire engager et évoluer dans le métier, il faut donc qu’il soit curieux et trouver des idées qui sortent de l’ordinaire, qui nous bluffent. C’est bien plus important que de maîtriser la technique ou d’avoir un matériel dernier cri.
C’est le cas par exemple de Pascal Maitre, un des photographes que j’adore, spécialiste de l’Afrique. Il a tellement de talent et en même temps il est tellement humble ! Il est vraiment doué. A chaque fois, c’est lui qui nous amène des sujets, comme son enquête sur le trafic de bois de rose à Madagascar ou celle sur les baobabs menacés d’extinction lorsqu’il découvre qu’ils font office de puits d’eau. »
Un dernier conseil : si vous êtes étudiant en France, quelle que soit la filière, et amateurs de photo, vous avez jusqu’au 15 mars 2020 pour participer au Grand Prix du photoreportage étudiant et pourquoi pas, vous faire remarquer par la rédaction de Paris Match 😉
« Pour avoir une chance de gagner l’un des prix, il faut là aussi que chaque photo raconte une histoire. Je fais une première sélection de 30 dossiers sur environ 800 à 900 dossiers reçus. Les rédacteurs en chef de Match, les Directeurs de Match et du JDD votent ensuite pour élire les gagnants. Les 30 finalistes sont exposés dans les salons de la Mairie de Paris où se déroule une grande cérémonie de remise des prix. » De quoi faire naître des vocations et révéler des talents !
En parlant de talent, et pour terminer notre échange, petit clin d’œil à Emilie Blachère, Reporter à Paris Match, que j’ai interviewée pour la rubrique Femmes et Medias (« Je fais ce métier parce-que j’adore aller à la rencontre des gens. ») : « Je suis fier du parcours d’Emilie, c’est une valeur sûre de notre magazine, elle a énormément de talent. C’est une personne que j’apprécie beaucoup aussi sur le plan humain. Je la vois très souvent car je viens encore tous les jours à la rédaction. Ces dernières années la rédaction de Match s’est d’ailleurs beaucoup féminisée à des postes importants (rédactrice en chef people, art de vivre, déco…) et c’est une bonne chose. »
Portrait de Brigitte BARDOT, 39 ans, à La Madrague, à Saint-Tropez, un panier en osier sur la tête. 19
Merci Marc pour notre échange très intéressant et pour le temps accordé. Hâte d’écouter votre future émission de radio ou votre podcast sur la petite histoire d’une grande photo 😉
Quand à vous, cultivez votre regard oblique et laissez s’exprimer votre créativité….be a voice not an echo!
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Retour sur ma visite de la rédaction de Paris Match : Dans les coulisses de la rédaction de Paris Match.
Princess Zaza
À propos
Rêveuse, idéaliste, curieuse et gourmande de la vie en général, j’aime partir à la découverte des nouveaux lieux gourmands et évènements culturels, mais aussi à la rencontre des gens à travers de nombreuses interviews et explorer de nouveaux horizons.
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