Mon séjour à Londres m’a donné l’occasion d’aller à la rencontre de la franc-maçonnerie anglaise en découvrant le Musée de la franc-maçonnerie et sa librairie, installés au sein du Freemason’s Hall . J’en ai aussi profité pour faire une visite guidée, qui m’a notamment permis d’accéder au Grand Temple.

L’entrée au Freemason’s Hall est libre et l’accès au Musée et à la librairie sont gratuits (du lundi au vendredi de 10h à 17h), idem pour la visite guidée (il y a juste des créneaux à respecter).

Cette visite empreinte de culture et d’histoire, qui fait le lien entre le passé et le présent, est une belle opportunité pour en apprendre davantage sur la place, les apports, les différentes loges, les rites, la symbolique…de la franc-maçonne anglaise. Je vous encourage vivement à y aller, c’est très instructif et c’est le genre de visite qui ouvre l’esprit !

Afin de vous apporter un éclairage plus détaillé, j’ai interrogé Ronan Loaëc, membre du Grand Orient de France, initié à Brest en 1991, ancien conseiller de l’Ordre, en charge de la communication et des médias, ancien rédacteur en chef du magazine Chasseur d’Images, photographe du Musée de la Franc-maçonnerie et, co-auteur avec Ludovic Marcos du livre « À la découverte des temples maçonniques de France” ‘Ed. Dervy.

J’ai aussi pu échanger avec Yonnel Ghernaouti, Grand Inspecteur de la Grande Loge Nationale Française, chroniqueur littéraire et membre du Jury des Prix Littéraires de l’Institut Maçonnique de France (IMF). Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages et a réalisé de nombreuses préfaces et postfaces pour des écrivains maçonniques.

Je vous remercie Messieurs pour vos apports respectifs qui m’ont enrichie et je l’espère, enrichiront également à leur tour les lecteurs.

L’histoire du Freemason’s Hall

Situé dans le quartier de Covent Garden, le Freemasons’ Hall est un imposant immeuble de 8700m2. Son architecture est reconnue comme l’une des plus belles oeuvres en matière de style art déco. Il est le siège de la Grande Loge Unie d’Angleterre, principale obédience maçonnique d’Angleterre.

La franc-maçonnerie anglaise a été fondée à Londres en 1717 et compte aujourd’hui plus de six millions de membres, dont 330 000 en Angleterre et 150 000 en Écosse et en Irlande.

Son enseignement est basé sur les règles du Livre des Constitutions d’Anderson, paru en 1723, qui promeut des principes humanistes inspirés des philosophes des Lumières.

Le bâtiment a été construit en 1775, par et pour les franc-maçons qui s’y réunissent tous les ans. C’est lors de sa reconstruction au début du XXe siècle qu’il a été agrandi en élargissant le hall d’entrée et en ajoutant le Musée et la librairie.

Au départ, il a été conçu comme un mémorial et portait le nom de Masonic Peace Memorial (Mémorial Maçonnique de la Paix), en hommage aux plus de 3000 francs-maçons morts en service actif lors de la Première Guerre Mondiale. C’est au début de la Seconde Guerre Mondiale qu’il prend le nom de Freemasons’Hall. C’est l’un des plus grands monuments contemporain érigé en l’honneur de la paix.

Aujourd’hui, il est toujours utilisé pour les rencontres annuelles de franc-maçons mais aussi pour des tournages de films, des clips, des défilés de mode, des expositions…

La visite guidée

La visite (en anglais uniquement) est assurée par un franc-maçon. Elle vous permet véritablement d’en apprendre davantage sur l’histoire du lieu et vous donne un bel aperçu sur l’organisation de la franc-maçonnerie anglaise.

« Concernant les grandes différences entre la conception de la franc-maçonnerie anglaise et française, il faut faire un bref rappel de l’état du monde maçonnique, divisé en gros, entre les Obédiences reconnues par Londres (en France donc, la Grande Loge Nationale de France et elle seule) et…les autres (qui comprennent quelques “grandes Obédiences historiques” comme le GODF (Grand Orient de France), la plus ancienne et la plus importante, le Droit Humain, première Obédience mixte, la Grande Loge de France, la Grande Loge Féminine de France, et quelques autres, nées par scission : Opéra, LNF, GLMU et GLMF, GLAMF… Enfin, depuis quelques années, on voit une prolifération de micro-Obédiences dont certaines sont sérieuses et d’autres totalement folkloriques. » Ronan Loaëc

(c) Steve Blake @SquarePictures3
(c) Steve Blake @SquarePictures3

« La reconnaissance anglaise nécessite le respect de “landmarks”, de “pierres milliaires” qui marquent les limites autorisées : pas de religion, ni de de politique en loge, même par allusion, pas de femmes en loge notamment. Et la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA) s’engage de son côté à ne reconnaître qu’une Obédience régulière par pays (deux dans les États du Sud aux États-Unis pour une question raciale).

Les Hauts grades, très présents en France, ne sont pas directement reconnus par la GLUA, quoique très pratiqués, notamment au REAA (Rite Écossais Ancien et Accepté). Au-delà du 3e degré (Maître), ils sont qualifiés de “Side Degrees” et pratiqués dans des ateliers de perfectionnement.

La maçonnerie des loges en Angleterre ne connaît que trois grades, Apprenti, Compagnon, Maître et Royal Arch (oui, c’est Anglais : les trois sont quatre : le quatrième pour faire simple, est un grade réservé aux anciens Vénérables, les “passés Maîtres”).

Les Obédiences françaises sont parfois mono-rite comme la GLDF ou le Droit Humain (REAA), ou multi-rites, comme le GODF (Rite français, REAA, Rite Écossais Rectifié, Rites Egyptien, de la Marque, etc.) et la GLDF.

Les Anglais utilisent en loge essentiellement les Rites issus de la réunification de 1813 entre les Modernes et les Anciens par la Loge Emulation. On parle ainsi de Rite d’York, etc. » Ronan Loaëc

« Dans ces Rites, le travail en loge consiste essentiellement dans le déroulement du Rite, généralement par cœur. C’est durant les agapes qui lui succèdent que l’on va pouvoir s’exprimer.

En France, la tradition est que les “tenues”, les réunions, comprennent une ou deux planches (travail) qui sont discutée(s) en loge selon une prise de parole spécifique qui empêche les tensions et la tentation de couper la parole.

Globalement, la maçonnerie française, même lorsqu’elle s’en défend (GLDF) est plus politique et “sociétale” et la maçonnerie anglaise plus tournée vers le caritatif (c’est la même chose aux États-Unis où des Ordres para-maçonniques comme le Shriners ont pour objet notamment le financement d’hopitaux, singulièrement pour enfants). Ils n’hésitent pas à parader en grande tenue dans les rues pour recueillir des fonds, alors qu’en France nous ne nous montrons – éventuellement pour les grandes occasions comme le 1er mai au Père Lachaise, au Mur des Fédérés – qu’avec notre cordon de Maître ou notre sautoir de Dignitaire (les “canaris”). » Ronan Loaëc

En empruntant un corridor, nous arrivons ensuite devant l’impressionnante porte qui mène au Grand Temple.

(c) Steve Blake @SquarePictures3
(c) Steve Blake @SquarePictures3
(c) Steve Blake @SquarePictures3

D’une capacité de 1717 sièges, le Grand Temple est gigantesque et majestueux ! Pour l’anecdote, il comprend 1717 sièges en clin d’oeil à l’année de création de la première Grande Loge de Londres et Westminster, fondée le 24 juin 1717.

C’est là que se réunit La Grande Loge unie d’Angleterre, fondée en 1813 par un acte d’union qui fusionne les deux obédiences maçonniques de la Grande Loge de Londres et Westminster et l’ancienne Grande Loge d’Angleterre (ou Grande Loge des Anciens).

« Les rapports entre nous (i.e franc-maçonnerie anglaise et française) sont théoriquement inexistants (au niveau Obédientiel) mais souvent très chaleureux, liés à des amitiés, des centres d’intérêt ou des compétences reconnues (des personnalités comme Pierre Mollier ou Roger Dachez sont très connues et reconnues à Londres). » Ronan Loaëc

« Concernant les femmes, elles sont depuis des années considérées comme maçonnes régulières (du moins pour une Obédience féminine anglaise) mais toujours interdites en loge à la GLUA. Je ne serais pas étonné que cela change dans la décennie à venir…

Dans la maçonnerie française, on peut dire que la reconnaissance du “fait maçonnique féminin” est universelle, y compris par les « Régulars” de la GLNF, mais certaines Obédiences persistent dans le refus de réception en loge au cours de “vraies” tenues maçonniques : cas de la GLNF bien sûr, de la GLMF et de la GLDF…

Au GO (Grand Orient), qui s’est ouvert aux femmes il y a maintenant une dizaine d’années, les loges sont libres de leur recrutement. Il doit y avoir environ3500 sœurs sur les 53 000 membres (en comptant celles qui sont en cours d’admission) réparties dans environ 650 loges mixtes sur les 1300 que comprend l’Obédience. » Ronan Loaëc

Quand on pénètre dans un temple maçonnique et qu’on observe, on se rend compte qu’ici tout est symbole« cherche et tu trouveras… » C’est phrase fait écho au chemin que le Récipiendaire aura à parcourir pour comprendre le sens caché de la démarche spirituelle maçonnique.

L’un des symboles fort est ce damier placé au sol appelé « le pavé mosaïque ». D’une manière générale, on peut dire que le damier renvoie au cycle de la vie qui n’est ni tout blanc, ni tout noir (quand on connaît une période de bonheur, on peut ensuite traverser des moments plus difficiles et inversement). Le labyrinthe est aussi sous-jacent dans le damier, en rappelant que chacun est à la recherche de son chemin personnel. On retrouve ici les notions de réflexion et de cheminement inhérentes à l’esprit maçonnique.

Comme dans tous les temples maçonniques, la voûte qui décore le plafond comporte de nombreux symboles : ici la splendide voûte étoilée est décorée des quatre vertus cardinales représentées par les figures de la Prudence, de la Tempérance, du Courage et de la Justice.

Le bâtiment comprend également 21 autres temples secondaires toujours utilisés par des loges maçonniques. Ceux-ci ne sont pas ouverts au public.

Lodge Room 16 (c) Steve Blake @SquarePictures3
Lodge Room 17 (c) Steve Blake @SquarePictures3
Lodge Room 17 (c) Steve Blake @SquarePictures3
Lodge Room 20 (c) Steve Blake @SquarePictures3

Le Musée et la Librairie

Le musée rassemble une large collection d’objets maçonniques, comprenant par exemple, des horloges, des meubles, de la verrerie, des bijoux, de la porcelaine, de la poterie et des insignes.

Vous y découvrirez également des effets personnels ayant appartenu à de célèbres francs-maçons anglais, parmi lesquels le roi Edouard VII, le politicien Winston Churchill et l’acteur Peter Sellers.

Le musée n’est pas très grand, il ne comprend qu’une salle mais il constitue un complément particulièrement intéressant à la visite guidée.

Vous y découvrirez également la Kent Room, le Duc de Kent a été Garad Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre.

À la sortie, vous trouverez une boutique si vous souhaitez repartir avec un souvenir. Si vous manquez de temps, allez faire un tour sur la boutique en ligne : Online masonic shop.

Jusqu’au 24 août, vous pouvez également découvrir une exposition qui réunit 150 insignes maçonniques : the Bejewelled: Badges, Brotherhood and Identity

Cette magnifique collection est l’occasion de mettre en lumière le cursus maçonnique à travers les décorations : les tabliers et leurs symboles nous en apprennent plus le Maçon, les badges, bijoux, chaînes, médailles, ras du cou et autres baudriers ou manchettes nous permettent de savoir quelles fonctions il occupe.

Si vous cherchez un endroit pour aller manger dans les environs, je vous propose d’aller au pub The Freemason’s Arms. À l’entrée du pub, une note rappelle que c’est dans cette auberge que furent créées les règles du football !

Si vous êtes de passage à Londres lors des journées du patrimoine (Open House) qui se déroulent aux alentours de la 3ème semaine de septembre, je vous recommande d’aller visiter le temple maçonnique caché au coeur de l’hôtel Andaz.

Enfin, je vous recommande le très bel ouvrage que Ronan Loaëc a co-écrit avec Ludovic Marcos «  À la découverte des temples maçonniques la découverte des temples maçonniques de France » :

« Avec mon vieil ami et complice Ludovic Marcos, nous avons en effet édité l’an passé un gros livres (630 page, un millier de photos) sur les Temples maçonniques français. Ludovic est décédé il y a un an, au cours d’une conférence de présentation de notre ouvrage : c’est une immense perte que celle d’un ami, d’abord, mais aussi de celui à qui nous devons, au niveau national, l’actuel Musée de la franc-maçonnerie de la rue Cadet à Paris, dont il a été le promoteur et l’infatigable artisan.

Dans sa région, autour de Nantes, il a également été un artisan particulièrement actif de la maçonnerie libérale et mixte, créant de nombreuses loges et Chapitres de Hauts Grades de Rite français. Son apport intellectuel est très important : il a été le premier historien professionnel à se soucier des objets et de l’architecture dans un univers jusque là surtout préoccupé par les archives papier.

Notre livre en témoigne : les deux premières parties consacrées à l’architecture et aux décors et objets maçonniques sont très abondamment illustrées, tant par des photos prises dans les temples que nous avons visités qu’au Musée, dans les collections, dont je suis le photographe depuis le milieu des années 90.

Le livre se termine par une longue promenade, tout aussi illustrée, dans les plus beaux temples (ou les plus originaux) que compte notre pays.  » Ronan Loaëc

Informations pratiques :

Freemason’s Hall
60 Great Queen Street WC2
Plus d’informations : Freemasonery London Museum

Lors de votre visite, partagez votre expérience sur les réseaux sociaux avec #MuseumFreemasonry et si vous visitez l’exposition temporaire the Bejewelled: Badges, Brotherhood and Identity , utilisez #FreemasonJewels.

En complément de cet article, je vous invite à lire ces 2 articles :

Et aussi : Devenir franc-maçonne (ou pas).

Découvrez le site de Square Pictures qui a accepté que j’illustre l’article avec quelques-unes de ses photos : Square Pictures.

Princess Zaza