Après vous avoir fait découvrir les grands principes de la franc-maçonnerie en France, je vous emmène sur les traces des francs-maçons à Paris.

Pour déchiffrer le Paris des francs-maçons, rien de mieux qu’une visite libre avec deux ouvrages spécialisés que j’ai repérés pour vous :

Cette option vous évitera les visites guidées sans intérêt, avec souvent des explications très approximatives. Il serait d’ailleurs intéressant que des francs-maçons eux-mêmes proposent ce genre de visites, à mon sens, elles n’en seraient que plus riches.

Cette balade touristique est l’occasion de vous replonger dans l’Histoire, aux côtés des francs-maçons, et de porter un regard nouveau sur des lieux emblématiques de la capitale.

Comme moi, j’espère que vous vous amuserez à déceler les symboles maçonniques, clairement visibles ou un peu plus dissimulés, laissés par les bâtisseurs francs-maçons sur des monuments, hôtels particuliers, statues ou façades. Ouvrez l’oeil et le bon, l’Histoire vous tend les bras !

Attention toutefois à ne pas associer toute représentation d’outils de maçon à une symbolique maçonnique. Un franc-maçon ne se cache pas forcément derrière chaque pyramide, chaque triangle ou chaque obélisque. A noter également que pour quelques monuments, on peut se demander si l’utilisation de symboles sont de véritables références maçonniques ou tout simplement l’iconographie de la Révolution ?

De la maçonnerie « opérative » à la maçonnerie « spéculative »

Avant de débuter la visite, voici un rappel historique pour mieux comprendre l’origine de la franc-maçonnerie avec le passage de la franc-maçonnerie dite « opérative » à la franc-maçonnerie dite « spéculative » (cette question a d’ailleurs soulevé de nombreux débats).

La première vient des métiers de la construction au Moyen-Âge (maçons, tailleurs de pierre, charpentiers…) qui étaient déjà organisés en catégories hiérarchisées. Ces corps de métier étaient dépositaires d’un grand savoir-faire pour garantir la qualité des édifices. Ils prêtaient même serment pour ne pas dévoiler les secrets professionnels transmis à des personnes qui n’étaient pas du métier. De plus, ils respectaient des exigences de bonne moralité dans leur conduite. Ces « bâtisseurs de cathédrales » se déplaçaient de ville en ville. Ils entreposaient leurs outils et se réunissaient dans des locaux souvent provisoires, édifiés sur le chantier, appelés des loges.

La seconde, la franc-maçonnerie dite « spéculative », relève d’une démarche intellectuelle, philosophique. Elle emprunte des symboles au métier de maçon pour éveiller la réflexion. Elle est née en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle avec la création de la Grande Loge de Londres et de Westminster, résultat de la réunion de quatre loges londoniennes. Son acte fondateur est le livre des Constitutions d’Anderson de 1723. Après une querelle entre Anciens et Modernes, elle deviendra en 1813 la Grand Loge Unie d’Angleterre (GLUA) que l’on connaît aujourd’hui.

La franc-maçonnerie serait arrivée en France par les Jacobites, les partisans du roi Jacques II d’Angleterre, en exil en France, à Saint-Germain-en-Laye. Les premiers maçons en France, étaient donc écossais, anglais ou irlandais. Alors que le droit d’association n’existait pas encore en France, c’est entre 1725 et 1737 que les premières loges françaises ont été créées à Paris.

De Saint-Germain-des-Près à la place de la Concorde

Munie de ces deux guides, je suis partie à la découverte du Paris des francs-maçons ! Je vous propose tout d’abord d’explorer le quartier de Saint-Germain-des-Près, pour aller jusqu’à la place de la Concorde.

Le quartier de Saint-Germain-des-Près

La trace officielle de la première loge parisienne date de 1725-1726 avec la « loge Saint-Thomas » menée par Charles Radcliffe. Elle était installée au 12 rue de Buci, dans le quartier de Saint-Germain-des-Près, où vous pouvez encore voir le pentagramme de l’étoile flamboyante sculpté dans la pierre de la façade.

Poursuivez la visite en vous rendant au quai Malaquais, sur les bords de Seine. Vous y découvrirez une statue qui incarne la toute première représentation officielle de la République. Observez bien, on y retrouve des symboles maçonniques, très classiques au XVIIIème/XIXème siècle : un niveau et une ruche désignés par un glaive.

D’autres façades de certains immeubles du quartier de Saint-Germain-des-Près sont aussi le témoin de cet héritage maçonnique. C’est par exemple le cas au 117 Bd Saint-Germain, siège du Cercle de la librairie et au 244 Bd Saint-Germain, où se situe l’Hôtel de Roquelaure, siège du Ministère de la Transition écologique et solidaire.

La place du Palais Bourbon

A présent, direction la statue de la loi, place du Palais Bourbon, où se situe l’entrée principale de l’Assemblée Nationale. Sur la face ouest du bas-relief de la statue, vous reconnaîtrez l’œil du Grand Architecte de l’Univers, cher à de nombreux francs-maçons, entre deux plateaux d’une balance. Sur la face est, un serpent enroulé qui se mord la queue autour d’un miroir rayonnant, symbole de la connaissance initiatique. Ce serpent est appelé Ouroboros », il représente le cycle éternel et infini de l’univers qui est fait de renaissances constantes : de la vie à la mort, de la création à la destruction.

Le Palais-Bourbon fut réaménagé en Chambre des députés (Assemblée Nationale) à partir de 1827 par l’architecte Jules de Joly, fils d’un porte-parole du Grand Orient. Les décors de la salle des pas perdus et le plafond du salon de la Paix sont l’oeuvre du frère Horace Vernet. Le fronton actuel a été sculpté entre 1838 et 1841 par Jean-Pierre Cortot, membre de la loge Le Grand Sphinx. Sur celui-ci, parmi les personnages qui entourent la France drapée à l’antique, on distingue deux femmes, l’une portant une équerre et l’autre un compas.

L’Hôtel de la Marine et la place de la Concorde

Pour continuer, je vous invite à vous rendre à l’Hôtel de la Marine et place de la Concorde. Ce magnifique bâtiment du XVIIIè siècle est l’œuvre de l’architecte Ange-Jacques Gabriel. On accède aux grands salons (des Amiraux, des Ports de guerre…) par un grand escalier en marbre et stuc en trompe-l’œil attribué à Jacques-Germain Soufflot, franc-maçon, initié à la loge L’Aigle de Saint-Jean, à Joigny, dans l’Yonne.

L’obélisque de la place de la Concorde quant à elle, rappelle celle de Louxor, totem de la puissance du dieu Rê et symbole d’équilibre. C’est le baron Isidore Taylor, éminent frère, qui proposa son acquisition à Charles X et organisa son transfert d’Égypte en 1836.

Du Panthéon à la Grande Arche de la Défense

En plus des endroits ci-dessus, voici quelques-uns autres lieux emblématiques qui valent le détour et qui témoignent des liens étroits entre la franc-maçonnerie et l’Histoire à travers l’architecture parisienne. Il y en a encore beaucoup d’autres que je vous invite à découvrir par vous-même. 🙂

Le Panthéon

Situé dans le quartier latin, le monument, voulu par Louis XV, est l’oeuvre de l’architecte franc-maçon Jacques-Germain Soufflot. Au départ, il est destiné à devenir un lieu de culte catholique en l’honneur de Geneviève, la sainte patronne de Paris.

Alors qu’éclate le début de la Révolution française, le lieu est rendu à la Patrie et devient une nécrople. Le fronton est modifié pour laisser apparaître celui que l’on connaît aujourd’hui « Aux grands Hommes la Patrie reconnaissante ». Il s’agit alors de mettre à l’honneur les valeurs universelles issues du Siècle des Lumières et les grands principes de la République française.

Par la suite, sous le 1er Empire, en 1806, le bâtiment est à la fois le lieu d’inhumation des grands hommes de la patrie (dans la crypte) et un lieu de culte rendu à l’Église (dans la nef). De 1814 à 1830, l’édifice est une église et l’inscription sur le fronton est changée. La révolution de 1830 rétablit le Panthéon, il s’appelle alors le Temple de la Gloire puis le Temple de l’Humanité en 1848. Sur le fronton, la devise « Aux grands Hommes la Patrie reconnaissante » réapparaît. Sous le Second Empire, 1851-1870, l’édifice redevient une église et l’inscription disparaît.

Depuis 1885, date de la panthéonisation de Victor Hugo, l’église Sainte-Geneviève n’existe plus. Le bâtiment est bien le lieu de repos des grands hommes honorés par la République. Dans sa crypte, reposent des «grands Hommes» francs-maçons illustres, tels que Pierre Brossolette (figure emblématique de la résistance), Emile Zola ou Léon Gambetta. A noter que Jean Moulin n’a pas été initié en franc-maçonnerie mais adolescent, il a été « adopté » par la loge de son père selon la procédure du « lowton ».

Le quartier de la Tour Eiffel

  • Le monument des droits de l’Homme au Champ de Mars : Situé près de la Tour Eiffel, ce temple discret d’inspiration égyptienne, érigé en 1989, est l’oeuvre de Ivan Theimer, sculpteur parisien d’origine hongroise. Il a été commandé par la Ville de Paris et commémore le bicentenaire de la proclamation des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ce n’est pas un monument maçonnique en soi. C’est avant tout un hommage aux vertus des Lumières et à l’esprit de la liberté. Néanmoins, parmi les décorations, on y voit de nombreux ornements égyptiens et symboles maçonniques : delta rayonnant, soleil, dessins de Newton, compas, équerre….qui laisse penser aussi à un hommage à la franc-maçonnerie.
  • La Tour Eiffel : Si un doute subsiste sur le fait que Gustave Eiffel était lui-même franc-maçon, il était entouré de nombreux frères. C’était le cas de Maurice Koechlin, son ingénieur ou Eugène Milon, son chef de chantier. L’édification de la Tour Eiffel est étroitement liée à la franc-maçonnerie qui l’a voulue et en grande partie financée mais, d’après mes recherches, ce n’est pas un monument maçonnique en soi. Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique, et René Goblet, président du Conseil, tous deux maçons, respectivement aux loges Alsace-Lorraine et La Clémente amitié, ont vivement soutenu le projet, devenu l’étendard des valeurs républicaines que les loges défendaient. Dans le contexte libéral et anticlérical de l’époque, la Tour Eiffel constituait aussi une victoire symbolique sur l’Eglise car celle-ci est plus haute que le sommet de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre ! Même si sa construction fit l’objet de nombreuses polémiques, la Tour Eiffel fut inaugurée juste à temps pour l’ouverture de l’Exposition universelle de 1889. Ainsi, même si la Tour Eiffel présente une forme pyramidale, est dotée d’un phare tout en haut illuminant la ville de ses lumières et de trois étages (à l’image des trois premiers grades des francs-maçons), elle n’en reste pas moins un pur projet d’ingénierie.
  • La statue de « La Liberté éclairant le monde » : Installée sur l’île aux Cygnes, elle est une réplique, dans une taille plus petite de celle la Ville de New York. Elle a été conçue par le frère Auguste Bartholdi, avec l’aide de Gustave Eiffel. On peut y voir un hommage aux idéaux maçonniques : la main gauche de la statue tient une tablette représentant la Connaissance tandis que la main droite brandit une torche enflammée, illuminant le monde grâce à la lumière de la Vérité. En vous baladant dans le Jardin du Luxembourg, vous découvrirez une autre statue de la Liberté, plus petite. Deux autres sont à également découvrir dans Paris : à l’entrée du Musée d’Orsay et une toute petite cachée dans la statue du Centaure de César, installée place Michel Debré (dans le 6ème arrondissement). Pour renforcer l’amitié franco-américaine, la France a même envoyé courant juin le modèle réduit de la statue de la Liberté qui était visible sur le parvis du Musée des Arts et Métiers. Elle a été prêtée pour 10 ans aux Etats-Unis. Après avoir fait une escale à New-York début juillet, elle a été installée dans les jardins de l’Ambassade française à Washington le 14 juillet, jour de la fête nationale française. Enfin, place de l’Alma, vous trouverez une réplique exacte de la flamme, symbole de l’amitié franco-américaine.
  • Les fresques du Palais d’Iéna : Le bâtiment abrite le Conseil économique, social et environnemental. Sa façade est décorée par des mosaïques qui représentent des allégories d’inspiration maçonniques, comme la pierre taillée, la voûte étoilée, la pyramide, les trois premiers grades et «la chaîne d’union fraternelle».

La Grande Arche

Le zodiaque de la Grande Arche : Au sommet de ce cube parfait de 110m de côté, de hauteur et de profondeur, conçu par l’architecte Otto von Spreckelsen, on distingue un dallage avec les douze signes du zodiaque. On peut y voir un hommage à la voûte céleste, que l’on retrouve dans les nefs des temples maçonniques.

Sur le toit de cette « fenêtre ouverte sur le monde », selon les mots de son architecte, est installée la Fondation de « L’Arche de la fraternité », inaugurée en 1989 à l’occasion du bicentenaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. Cette fondation oeuvre au niveau mondial en faveur de la défense et de la promotion des droits de l’homme et s’intéresse aux nouvelles menaces dans les sociétés contemporaines.

Les statues de francs-maçons illustres

Dans Paris, de nombreuses statues rendent hommage à des francs-maçons célèbres qui ont marqué l’Histoire. En voici quelques-unes :

  • La statue de Ludwig van Beethoven, jardin du Luxembourg (6ème arrondissement) : réalisée par le sculpteur Bourdelle, en hommage à l’auteur de la Neuvième Symphonie, une oeuvre d’inspiration maçonnique.
  • La statue équestre d’Edouard VII, place Edouard VII (9ème arrondissement) : elle fait face au théâtre du même nom. Cet ancien roi d’Angleterre, qui fut également Grand Maître de la GLUA entre 1875 et son couronnement1910, est représenté en costume d’apparat. Il est directement à l’origine du rapprochement diplomatique entre la France et la Grande-Bretagne qu’on nomme « Entente Cordiale ».
  • Les statues d’Alexandre Dumas père et fils, place du Général Catroux (17ème arrondissement) : elle porte le nom du général Catroux depuis 1977, en mémoire de Georges Catroux, un militaire de haut rang qui fut parmi les premiers à se rallier au Général de Gaulle.

Elle fut longtemps surnommée ” la place des trois Dumas “ car elle réunissait la statue du général Dumas, héros des guerres de la Révolution et père du romancier, debout, son fusil à la main, aux côtés de celles de son fils et de son petit-fils. Tous trois étaient des francs-maçons notoires. La statue du Général Dumas n’existe plus, elle a été détruite durant l’occupation en 1942.

Sur la face principale de la statue d’Alexandre Dumas père, trois lecteurs feuillettent un de ses livres, allégorie de la Lecture et de l’autre côté, se tient d’Artagnan, son éternel héros.

La statue d’Alexandre Dumas fils le représente en habit de travail, un stylet à la main, entouré par un groupe de trois figures féminines qui illustrent des émotions : la Douleur, la Résignation et la Jeunesse. Celui-ci vécût dans un hôtel particulier situé au 98, avenue de Villiers.

  • La statue de Washington et La Fayette, place des Etats-Unis (16ème arrondissement) : la statue de ces deux francs-maçons notoires est l’oeuvre du frère Auguste Bartholdi. Ces deux héros de l’Indépendance américaine sont représentés en costume militaire, en train de se serrer fraternellement la main, devant les drapeaux de leurs deux nations.
  • La statue de Jules Ferry, jardin des Tuileries (1er arrondissement) : elle rend hommage à cet homme politique français qui a joué un rôle majeur dans l’instauration de l’instruction obligatoire, gratuite et laïque vers 1880. On peut dire que c’est l’un des pères fondateurs de l’identité républicaine. Si vous regardez bien les quatre coins du socle, vous apercevrez un triangle et un fil à plomb.
  • La statue équestre de La Fayette, cours la Reine (entre le Grand Palais et la Seine, 8ème arrondissement) : c’est à l’initiative des américains (tribut de la société nationale des filles de la révolution américaine), en remerciement de la Statue de la Liberté, que cette statue fût érigée en l’honneur de ce héros de l’indépendance américaine, « compagnon d’armes de George Washington » (comme l’indique le bas relief de la statue) et figure historique majeure des révolutions françaises de 1789 et 1830.
  • La statue équestre de George Washington, place d’Iéna (16ème arrondissement) : cette statue du plus illustre des pères fondateurs de la démocratie américaine, fut offerte à la France par les Etats-Unis en 1900. En un geste glorieux, Washington brandit une épée vers le ciel.
  • La statue de Benjamin Franklin, square de Yorktown (16ème arrondissement) : oeuvre de John Boyle, elle représente cet illustre savant et homme d’Etat, en position assise, l’air serein, le regard comme éclairé, rempli de bienveillance. Vous remarquerez que la statue est installée sous un acacia, arbre sacré des Egyptiens et symbole maçonnique par excellence. Benjamin Franklin fut élu Vénérable Maître au sein de la loge des 9 soeurs du GODF, une loge mythique du 18ème siècle, dans le courant de l’Esprit des Lumières.
  • La statue de Maria Deraismes dans le square des Epinettes dans le 17è arrondissement. Féministe d’avant-garde, elle fonde en 1893, avec Georges Martin, l’obédience mixte Le Droit Humain. Elle a aussi donné son nom à une rue située juste en face du square.

A noter que la toute première femme initiée franc-maçonne est Elisabeth Adlsworth née Saint-Léger à Cork, en 1712.

Et aussi, la statue de Thomas Payne, parc Montsouris (14ème), le buste du baron Taylor, place Johann-Strauss (10ème), la statue du « Triomphe de la République », place de la Nation (12ème) et la frise murale dans le square Paul Langevin, en hommage à l’engagement humaniste de ce physicien, philosophe des sciences et homme politique français qui n’a jamais été initié mais fréquentait assidûment le Grand Orient de France.

Une nouvelle fois je tiens à remercier Inspy pour sa bienveillance et pour m’avoir permis de découvrir la place du général Catroux.

Bonne balade !

Princess Zaza