Le Rijksmuseum (Amsterdam), musée national des Pays-Bas, présente jusqu’au 4 juin la plus grande rétrospective à ce jour dédiée au peintre Johannes Vermeer. Elle a réuni jusqu’à vingt-huit de ses trente-sept toiles, dont La Jeune Fille à la perle et La Laitière, deux des oeuvres les plus emblématiques de celui qu’on appelait le « Sphinx de Delft ». Ce surnom lui a été donné pour souligner le caractère infiniment énigmatique de ce magicien de la lumière et du silence, coloriste hors pair, né à Delft en 1632, une ville située à l’ouest des Pays-Bas.

Le savez-vous ? Vermeer n’est pas son vrai nom. Né Joannis Reynierzoon, l’artiste change son prénom en Johannes et adopte le pseudonyme « van der Meer » (« du Lac » en néerlandais), contracté en « Vermeer ».

L’engouement fut tel à l’annonce de cette exposition que les places ont été vendues en quelques heures seulement ! J’ai eu la chance d’avoir un billet et j’ai pu découvrir en vrai les œuvres de ce grand maître du Siècle d’or hollandais. Malheureusement, La Jeune Fille à la perle était déjà repartie au Mauritshuis Museum de La Haye, propriétaire du tableau.

Le savez-vous ? Vermeer avait recours à la technique de la chambre noire pour réaliser ses œuvres. Ce procédé est l’ancêtre de l’appareil photographique. Il consiste à percer d’un petit trou dans une boîte équipée d’une lentille convexe et permet, grâce à de la lumière, de projeter nettement sur une surface plane l’image (plus petite et inversée) de l’objet observé. En relevant ses contours, le peintre peut ainsi reproduire parfaitement les proportions et les effets de perspective d’une scène pour donner un réalisme saisissant à son œuvre.

Les peintures de Vermeer sont comme des instantanés du quotidien où le temps semble suspendu et l’ambiance sereine et silencieuse. Les scènes de genre se déroulent souvent dans un espace clos et intime, éclairées par une lumière latérale délicate, blanche et pure, émanant souvent d’une fenêtre située sur la gauche du tableau. Les personnages, souvent féminins, sont toujours calmes, occupés par une activité studieuse et comme absorbés par des pensées secrètes.

Le savez-vous ? Si vous observez attentivement les toiles de Vermeer (ex : La Jeune Fille à la perle, La Laitière, La Dentellière…), vous verrez que deux couleurs dominent : le jaune et le bleu. Le peintre associe fréquemment son bleu outremer, obtenu à partir de lapis-lazuli, pierre précieuse venue d’Afghanistan, avec un vibrant jaune de Naples. Cette combinaison de couleurs permet d’accrocher l’œil et instaurer une atmosphère chaleureuse (avec le jaune) et apporter du contraste avec l’utilisation d’une couleur froide (le bleu) pour créer un ensemble équilibré et harmonieux.

J’ai aussi perçu dans les œuvres de Vermeer une dimension allégorique à travers différents objets symboliques disséminés dans ses tableaux. Ces détails sont autant d’indices laissés par le peintre pour inviter le spectateur à aller au-delà des apparences et le guider vers une réflexion plus approfondie. En voici quelques-uns que j’ai repérés au cours de ma visite et qui ont retenu mon attention :

Le globe céleste dans L’Astronome,1668

Image du monde dans son ensemble, le globe représente une aspiration à l’unité, à l’ordre, à la beauté. Il est l’attribut de l’homme de savoir qui cherche à comprendre le monde. Sa forme sphérique renvoie à une forme d’éternité et de perfection. Instable et éphémère, puisqu’il est mobile (il roule sur son socle), il évoque le temps qui passe et la fragilité de la vie humaine (sa vanité). Renversé, il peut évoquer un univers déstabilisé par la folie des hommes.

Dans l’oeuvre de Vermeer, on observe un homme érudit, dont le regard est attiré par un globe, baigné de lumière, posé devant lui et sur lequel sont représentées les figures des constellations célestes. Le globe est entouré d’un compas, d’un livre ouvert et d’un astrolabe (instrument astronomique d’observation et de calcul). Ce globe céleste peut symboliser la soif de connaissances scientifiques de l’Homme qui cherche à tout mesurer, tout maîtriser, même les cieux….mais le peut-il vraiment ?

On retrouve aussi un globe dans un autre tableau de Vermeer : « Le géographe ». Cette oeuvre présente d’ailleurs une grande similitude dans les modèles (un homme seul qui aborde des sujets scientifiques, éclairé par une lumière douce et latérale ) et dans la composition, mais cette fois, c’est un globe terrestre qui est représenté dans la toile.

La balance dans La Femme à la balance, vers 1664 

La balance est le signe de l’équité, de l’équilibre, de la justice mais aussi du jugement dernier dans les religions monothéistes. Elle est, par exemple, présentée dans les mythologies antiques comme un moyen de peser les âmes après la mort pour déterminer la valeur d’un individu.

Sur le tableau, on voit une femme qui tourne le dos à « la balance divine » représentée par un grand tableau derrière elle qui est un jugement dernier à la manière de Rubens. On peut imaginer que dans la partie cachée en dessous de Dieu figure l’archange Saint Michel avec sa balance qui était chargé de peser les âmes pour savoir si la place du défunt est au paradis ou en enfer ?

Cachant en partie ce tableau, la femme se trouve face à des richesses terrestres disposées sur la table devant elle (or, argent, perle, tissus précieux). Elle dirige son regard vers une « balance matérielle » qu’elle tient dans ses doigts mais dont les plateaux sont vides.

La jeune fille est peut-être en train de penser au jour du jugement dernier ? La balance vide entourée de ces métaux révèle-t-elle la vanité des êtres humains ? Est-ce là un avertissement que l’artiste a voulu nous donner en nous prévenant que lors du jugement dernier, ces richesses futiles ne pèseront plus rien dans la balance par rapport aux vertus morales ?

Le miroir dans La Leçon de musique, vers 1662-1665

Le miroir revêt un triple sens : il est à la fois porteur de vérité, de vigilance et d’éveil. En me renvoyant mon image, il me met face à moi-même mais il me met aussi en garde contre un excès de vanité et d’orgueil, comme le figure la tragique histoire de Narcisse – qui utilise l’eau comme un miroir et se complaît dans son image fallacieuse jusqu’à causer sa perte. Enfin, le miroir est aussi une porte, un passage qui ouvre vers une nouvelle dimension. C’est en passant « De l’autre côté du miroir » qu’Alice, le personnage de Lewis Carroll, pénètre dans un monde merveilleux.

Le tableau montre une femme de dos jouant du piano. Elle semble concentrée sur son instrument mais le miroir accroché au-dessus d’elle la montre tournant son regard vers son professeur, dévoilant ainsi une attirance cachée. Symbole de vérité mais aussi de prudence, Vermeer semble utiliser le miroir à la fois comme révélateur et comme mise en garde des apparences qui sont parfois trompeuses. En l’espèce, au premier coup d’oeil, on voit une scène calme et studieuse alors qu’en réalité, il serait question d’une scène d’intimité entre l’élève et le professeur.

Le luth dans La Lettre d’Amour, vers 1669-1670 

Le luth est l’instrument de musique le plus plus répandu en Europe aux XVIème et XVIIème siècles. Sa sonorité délicate en fait l’instrument parfait des « concerts célestes », comme en témoigne l’iconographie abondante sur les anges musiciens. Avec sa forme en demi-poire, sa table d’harmonie décorée d’une rosace et sa légèreté, il évoque la sensualité et au-delà, peut représenter une métaphore sexuelle avec les différents types de rapports amoureux, allant de la fidélité à la luxure, jusqu’à l’adultère. Le luth est donc un objet ambivalent : tantôt en lien avec le céleste qui élève l’âme et la rapproche de Dieu, tantôt emblème du désir sexuel.

En jouant du luth au lieu de broder ou coudre, la maîtresse que l’on aperçoit assise aux côtés de sa servante, exprime ses pensées d’amour teintées de sensualité et de désir pour son mari absent ou son amant. Elle s’inscrit parfaitement dans ce contexte de la lettre d’Amour.

Cela dit, l’expression de son regard semble dire qu’elle appréhende de lire le message qu’elle contient. C’est comme si cette lettre était sur le point de bouleverser l’équilibre de la maison ! L’attitude rassurante et complice de la servante ainsi que son sourire doux et cordial tendent à penser que la lettre apporte de bonnes nouvelles, ce que semble confirmer la peinture d’une mer calme derrière elles avec un navire voguant toutes voiles gonflées, signe d’une relation sincère et apaisée. Reste une énigme : qui est l’expéditeur de cette lettre ?

La perle dans La jeune fille à la perle, vers 1665

La perle a toujours été le symbole de la beauté parfaite et pure, de l’amour en plénitude, de l’innocence et de la virginité, de l’élégance et du raffinement intemporel. Elle a aussi un côté mystérieux et sensuel. Elle est associée à Vénus (Aphrodite), déesse de l’Amour née de l’écume de la mer. Elle est donc par excellence, LE symbole de la féminité.

Dans l’oeuvre de Vermeer, cette perle cristalline qui est comme une étoile dans l’obscurité du cou de la jeune fille, peut renvoyer à un symbole de délicatesse et de chasteté. On peut penser que Vermeer souhaite nous montrer la pureté de cette femme dont la beauté et la sensualité s’emparent pourtant de nous avec une grande puissance.

Ainsi, les œuvres de Vermeer guident les spectateurs les plus attentifs vers un questionnement introspectif. Elles posent une énigme silencieuse et nous laisse chercher une réponse, méticuleusement, dans l’abondance de détails qui ravissent les yeux et l’imaginaire.

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