C’est un rituel extrêmement codifié, qui se pratique dans le respect de la plus pure tradition japonaise et selon quelques spécificités propres à chaque école. La cérémonie du thé, ou Chanoyu en japonais, se traduit littéralement par « eau chaude pour le thé ».

Cet évènement très solennel cultive l’art de la lenteur, la force de l’instant présent ainsi que la beauté et la minutie du geste.

La Voie du thé repose sur quatre grands principes : Wa (l’harmonie), Kei (le respect), Sei (la pureté), et Jaku (la tranquillité).

Il y a quelques années j’ai découvert cette cérémonie au panthéon bouddhique du musée Guimet dédié aux arts asiatiques. Cette fois, je suis allée découvrir celle proposée par l’école Urasenke de Kyoto au musée Albert Kahn, l’une des deux principales écoles avec Omotesenke.

Si vous êtes à la recherche d’une expérience insolite à Paris, je vous recommande d’y aller, c’est très dépaysant, enrichissant et reposant.

La voie du thé, une expérience unique !

Lorsque vous arrivez au musée Albert Kahn, vous êtes accueilli par un professeur de l’école en kimono qui vous accompagne jusqu’à « l’Érable vert », nom du pavillon de thé situé au cœur des jardins. C’est là que se déroule la démonstration de la cérémonie du thé pendant 1 heure car dans sa version complète, elle peut durer jusqu’à quatre heures ! Vous verrez, le fait de traverser ce jardin zen vous permettra de vous reconnecter avec la nature et vous mettre dans l’ambiance.

En situation réelle, en arrivant au pavillon, chaque invité se lave les mains et se rince la bouche à l’eau, pour se purifier du monde extérieur. Puis, chacun retire ses chaussures et emprunte la porte basse pour entrer. Cela les oblige à se courber, en signe de respect envers le teishu (le maître du thé).

Pour la démonstration, chacun s’installe autour du pavillon. Le groupe de participants est constitué d’environ 10 personnes maximum pour conserver le caractère intimiste de la cérémonie du thé tel qu’elle est pratiquée au Japon où elle réunit en principe de 3 à 5 invités. Chacun a un titre spécifique :

  • L’invité d’honneur ou premier invité : le shokyaku
  • Le deuxième invité : le jikyaku
  • Le dernier invité : le tsume

Le professeur commence par partager quelques éléments de contexte pour que chacun puisse suivre correctement le déroulé de la démonstration et en saisir tout le sens.

Il interviendra par la suite à quelques moments bien choisis pour apporter des précisions sur cet art ancestral. Chacun est invité à faire preuve d’une grande concentration afin que l’esprit soit tout entier dans le moment présent.

La décoration minimaliste du pavillon procure une sensation de zen intense, comme si l’esprit était débarrassé de toutes considérations matérialistes pour s’ouvrir à l’essentiel. On découvre les tatamis au sol, une calligraphie posée sur une paroi du tokonoma (alcôve), ici elle signifie : « Montagne Bleue, Eau verte, Ici est ma demeure ». Juste à côté, quelques fleurs fraîches sont disposées dans un vase et au fond, le foyer ou brasero dans lequel brûle du charbon de bois, une bouilloire qui contient de l’eau chaude, une boîte à thé, natsume traditionnellement recouverte d’une laque noire et de motifs en or, et quelques autres ustensiles pour préparer le thé. La démonstration peut démarrer.

L’invité commence par admirer et saluer la calligraphie en silence et à travers celle-ci, rend hommage à la personne qui a tracé les caractères. Puis, il regarde les fleurs disposées à côté, c’est ce qu’on appelle un chabana (fleurs pour le thé). Il complimente l’hôte sur l’arrangement puis prend place sur le tatami, à genoux, en position seiza.

Dérivé de l’ikebana (art floral traditionnel japonais, qu’on appelle aussi Kadô ou la voie des fleurs), le chabana est un arrangement de fleurs simples de saison, spécialement créé pour la cérémonie du thé. Les fleurs sont placées dans un vase d’une manière aussi naturelle que possible, sans aucun artifice pour ne pas en modifier la beauté originelle.

Le fait d’avoir des fleurs de saison est aussi important car elles sont le fruit de la nature et de ses lois et elles symbolisent le temps qui passe au fil des saisons. On choisit de préférence des fleurs éphémères pour être en cohérence avec le concept philosophique inhérent à la cérémonie du thé : le ichi-go, ichi-e (une fois, une rencontre ou pour cette fois seulement) qui est une invitation à chérir la nature irremplaçable d’un moment et en faire le meilleur de sa vie car il ne se représentera pas deux fois à l’identique.

Ainsi, on peut voir le symbole du printemps dans un bouton de fleur, celui de l’automne dans une branche d’érable ou de l’hiver dans un morceau de bois. Les fleurs trop voyantes ou au parfum trop capiteux (telles que le lys ou la rose rouge) sont proscrites pour ne de pas distraire l’attention de l’invité et ne pas s’opposer à l’humilité requise dans la cérémonie du thé.

Déroulé de la cérémonie du thé

La démonstration à laquelle on assiste est la cérémonie du thé léger (Usucha) qui est la plus pratiquée, par opposition au thé épais (Koicha). Dans les deux cas, on utilise de la poudre de thé vert (matcha) mais dans des quantités différentes : pour du thé fort, une quantité plus importante de matcha est ajoutée à une quantité moindre d’eau.

La cérémonie du thé commence parfois par un repas simple et léger, nommé kaïseki (qu’on peut traduire par « pierres chaudes posées sur l’estomac »), suivi généralement par du saké et un gâteau frais. Le repas terminé, les invités ressortent de la salle de thé, rejoignent un abri extérieur et attendent d’être appelés à nouveau par le maître du thé, souvent au son d’un gong.

Ce repas est facultatif. L’hôte peut servir directement des friandises à son invité qui les dégustera au moment où l’hôte le lui dira (« Veuillez manger votre gâteau »), et plus précisément, juste avant la cérémonie du thé proprement dite.

Celle-ci commence par la purification des ustensiles qui vont servir à préparer le thé : l’hôte les nettoie un par un, devant son invité, en faisant des mouvements lents, particulièrement gracieux et esthétiques, dans la plus grande concentration. Il utilise un fukuza (carré de soie) pour nettoyer la cuillère et la boîte à thé, et un chakin, morceau rectangulaire en lin ou en chanvre, pour le bol. Il replace ensuite les ustensiles en respectant précisément l’ordre de la préparation du thé qui va suivre. Le fukuza est aussi employé pour manipuler le couvercle chaud de la bouilloire.

Pour la préparation du matcha, le maître du thé verse de la poudre de matcha à l’aide du chashaku (cuillère à matcha en bambou) dans un chawan (bol). Il verse ensuite de l’eau depuis la bouilloire avec la louche en bambou. Puis il fouette le mélange avec le chasen (fouet à matcha en bambou) jusqu’à faire mousser ce thé vert.

Le saviez-vous ? Une fois par an, les chasen sont brûlés dans les temples locaux lors de la cérémonie chasenkoyo, pour témoigner de l’importance de la cérémonie du thé.

Une fois la préparation du thé léger terminée, l’hôte dépose le bol devant son invité qui dégustera le breuvage en faisant attention de toujours tourner le bol de façon à éviter de boire sur sa face avant. Quand l’invité a fini de boire le thé, le maître du thé nettoie à nouveau les ustensiles un par un.

Après le nettoyage, l’invité peut demander à l’hôte le haïken qui consiste à admirer la beauté de certains objets, comme par exemple, le pot à thé, la cuillère ou le bol. Ces derniers doivent être maniés avec précaution, car ils sont généralement irremplaçables, de grande valeur, étant souvent des antiquités faites à la main. Pendant ce temps, l’hôte se retire pour laisser l’invité seul observer les objets puis il revient un moment après, pour avoir une discussion avec lui. L’invité peut par exemple demander à l’hôte le nom du laqueur du pot à thé.

Le saviez-vous ? L’un des grandes familles de laqueurs au Japon est Sotetsu Nakamura qui fait des objets en bois laqué pour le thé depuis plus de 400 ans !

Si c’est le thé est servi à plusieurs invités, on utilise un seul bol de thé qui sera d’abord servi par le maître du thé au shokyaku (invité principal ou d’honneur). Celui-ci lève le bol vers le maître du thé pour l’honorer puis salue le second invité. Il tourne le bol pour ne pas boire sur sa face avant, boit une première gorgée et donne son appréciation à l’hôte, avant de déguster deux gorgées supplémentaires. Après avoir bu, il essuie le bord du bol et le tourne dans sa position de départ avant de le passer à l’invité suivant tout en saluant, et ainsi de suite. Chaque invité boit ses trois gorgées. Le dernier remet le chawan à l’invité d’honneur, qui la plupart du temps, prend le temps d’admirer la beauté de l’objet avant de le restituer à l’hôte. Durant la cérémonie, c’est l’invité d’honneur et lui seul qui peut communiquer avec le maître du thé. Si l’un des invités a une question à poser, il s’adressera à l’invité principal, et pas au maître du thé directement. Ici aussi, quand tous les invités ont terminé de boire le thé, le maître du thé nettoie les ustensiles un par un.

Une fois les dernières salutations d’usage faites, l’hôte raccompagne silencieusement son invité hors du pavillon et retire la décoration. Après deux jours, l’invité envoie un message de remerciement au maître du thé.

Balade zen dans les jardins Alberts Kahn

Pour prolonger ce moment, tout en restant dans cette ambiance asiatique, baladez-vous dans le jardin et village japonais.

C’est à la suite d’un voyage au Japon à la fin du 19è siècle, qu’Albert Kahn eu cette idée. Pour sa réalisation, il a fait l’artiste japonais Fumiaki Takano et lui demande d’imaginer les tracés et les plantations. En plus du pavillon du thé, vous découvrirez deux maisons d’habitation traditionnelles transportées depuis le Japon !

Vous allez adorer la zenitude et l’harmonie qui se dégagent du lieu pour un moment propice au dépaysement et à la détente. Je vous recommande d’y venir au printemps, saison où la nature est luxuriante.  

Le saviez-vous ? Albert Kahn s’installe en 1893 à Boulogne sur Seine. Au départ, locataire de son hôtel particulier, il tombe amoureux des lieux et devient propriétaire deux ans plus tard. Passionné de jardin, il décide alors d’acquérir au fur et à mesure les parcelles avoisinantes. Au total, il finit en 1910 avec vingt parcelles sur une superficie de 4 hectares !

De 1895 à 1920, Abraham Kahn de son vrai nom, le fameux banquier philanthrope, décide de créer un jardin composé de scènes. Grand pacifiste dans l’âme, il imagine un jardin où se mêlent les cultures, persuadé que la connaissance des autres contribue à la paix. Ainsi, ses images et ses jardins permettent aux élites de l’époque de découvrir l’intérêt et la richesse de la diversité culturelle. 

C’est donc une carte personnelle issue de ses voyages et découvertes qui se donnent à voir désormais. Dans les jardins du musée, partez à la découverte de 7 scènes paysagères :

  • la Forêt bleue et le marais,
  • La forêt dorée et la prairie,
  • La forêt vosgienne,
  • Le jardin français et son verger-roseraie,
  • Le jardin anglais
  • Le village japonais
  • Le jardin japonais contemporain

Pour vous inscrire à la cérémonie du thé et plus d’infos : Musée et Jardins Albert Kahn.

Si vous en avez l’occasion , regardez « Dans un jardin qu’on dirait éternel », un film japonais sur la cérémonie du thé.

Princess Zaza