Les gourmets gourmands qui comme moi adorent le chocolat vont se régaler avec cet article ! Quand j’ai vu que Gilles Quillot, Chef de l’Ambassade de France à Londres, avait reçu du chocolat en provenance de Martinique, cela m’a intriguée et j’ai voulu en savoir plus.
Voici son interview très gourmande…à s’en lécher les babines ! 🙂
Princess Zaza : Si vous deviez définir le chocolat en 3 mots ?
Gilles Quillot : Un seul : Gourmandise
PZ : Quel est votre premier souvenir chocolaté ?
Gilles Quillot : Au lieu du vous parler de mon premier souvenir chocolaté, qui devait être un carré de chocolat au lait que je refuserais poliment aujourd’hui, je préfère partager ma première rencontre avec un chocolat que je définirais de primitif.
C’était au Salon du chocolat à Paris il y a 3 ans. Je déambulais dans les allées où j’ai rencontré une jeune agricultrice péruvienne qui présentait son chocolat : une petite tablette de 75g d’aspect assez brut. Elle représentait une coopérative de production de cacao. Son chocolat n’était pas affiné, des morceaux de fèves de cacao étaient présents dans la tablette, ce qui donnait un aspect granuleux mais apportait de la texture. A 75% de cacao, le goût était prononcé mais équilibré avec une prédominance sur la fermentation. C’était incroyable ! Pas forcément gourmand mais incroyable. Cela a été comme une révélation.
Pour moi, c’est ça le chocolat : pas d’artifices, ni de parfums ajoutés. Un chocolat avec ses défauts, mais qui deviennent, avec le temps, des qualités.
PZ : Vous avez récemment reçu du chocolat en provenance de Martinique. Est-ce lié au projet de relancer une filière de cacao d’excellence en Martinique ?
Gilles Quillot : J’ai en effet commandé et reçu des fèves de cacao de Martinique dites de « cacao marchand ». Lorsque la cabosse est cueillie de l’arbre, elle doit être consciencieusement ouverte pour libérer les fèves. Celles-ci sont ensuite mises en fermentation pendant 5 jours, procédé très délicat qui amorcera les premières saveurs cacaotées. Puis les fèves sont séchées au soleil. Elles sont alors considérées comme du « cacao marchand ». Il faut ensuite les torréfier, les éplucher et les mixer longuement avec du sucre avant d’obtenir du chocolat.
Le 6 février 2015, au Pôle Agroalimentaire Régional de Martinique (PARM), 10 producteurs de cacao ont créé l’association de producteurs de cacao de Martinique dénommée Valcaco, en présence de la Chambre d’Agriculture et des chocolatiers Lauzéa et Elot. Présidée par Kora Bernabé, l’association se donne pour mission de poursuivre le développement d’une filière cacao d’excellence en Martinique. Une initiative soutenue par le Conseil régional de la Martinique et le ministère de l’Agriculture.
Aujourd’hui ils sont plus de 40 producteurs à participer au développement de l’association. L’année dernière 900Kg ont été produits sur l’île et ils espèrent produire d’ici 5 ans 6 tonnes de cacao marchand.
PZ : Quels sont vos liens avec l’association des producteurs de cacao de Martinique, Valcaco ?
Gilles Quillot : Tout a commencé en octobre 2020. A la suite de différentes recherches et lectures sur la culture du cacao, j’ai découvert que la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane avaient une riche histoire de production de cacao de qualité, dit de « cacao fin ». Je me suis alors rapproché du pôle agricole de l’Ambassade de France à Londres pour leur demander s’ils avaient connaissance de productions de cacao français. J’ai été très rapidement orienté vers l’association Valcaco. Je les ai contactés et quelques semaines plus tard, je recevais 10 Kg de grué de cacao. (Le grué est la fève de cacao torréfiée et épluchée).
Beaucoup de livres existent sur la culture du cacao mais peu traitent de la transformation en chocolat. J’ai alors appelé le chocolatier sur l’île, Jimmy Lauzéa, qui m’a conseillé pour l’élaboration d’un chocolat à 75%. Dès le départ, je souhaitais un chocolat différent avec un goût franc de cacao. Je voulais être transporté en Martinique à chaque bouchée et ne voulais aucun artifice. Pas de vanille ni de lécithine de soja. De par leurs qualités, les fèves de Martinique sont exceptionnelles et je souhaitais que le chocolat de l’Ambassade reflète le travail incroyable des agriculteurs de Martinique.
Plus tard, j’ai commandé 50 Kg de fèves de cacao, répartis sur 5 plantations dans différentes communes de l’île : commune du Carbet, au Nord-ouest de l’île côté mer des Caraïbes, commune du Lorrain, au Nord-est, côté mer Atlantique, commune du François dans le Centre-est, commune du Robert, placée juste entre le Lorrain et le François, sur la côte Est, et enfin, un mélange de producteurs du sud de l’île. Chaque cacao issu de ces plantations a ses propres caractéristiques, suivant le sol, la génétique des cacaoyers, la fermentation, etc…
PZ : Qu’est ce qui fait l’identité du cacao martiniquais ?
Gilles Quillot : Avec ses différentes altitudes et compositions de sol, la Martinique offre une riche palette de saveurs. La fève de cacao ultra-marine possède des caractéristiques propres avec des notes aromatiques spécifiques.
Avec une sélection naturelle de différentes variétés robustes et bénéficiant d’un enrichissement du sol grâce à la plantation de légumineuses et de l’agroforesterie, les producteurs martiniquais s’engagent dans des pratiques durables et respectueuses de l’environnement.
En 2017, les fèves de cacao de Valcaco ont été inscrites parmi les 18 meilleures fèves mondiales au concours des « International Cocoa Awards » au Salon du chocolat de Paris.
PZ : Et quelles spécificités pour le cacao des autres régions/territoires d’outre-mer ?
Gilles Quillot : Historiquement, la Guyane ne produisait pas de grande quantité de cacao mais la qualité des fèves étaient appréciée. A la fin du XIXème siècle, les cacaoraies de Guyane ont été abandonnées et peu à peu la forêt amazonienne a repris ses droits. Aujourd’hui les cacaoyers, laissés à l’abandon ont évolué et donnent toujours des cabosses.
Je suis rentré en contact avec Oliver Dummett, chocolatier de Regina au cœur du parc d’Amazonie, qui part en forêt cueillir les cabosses de ces cacaoyers spontanés. Il écabosse sur place et fermente, sèche les fèves et produit son propre chocolat. Le résultat est excellent.
Olivier a gentiment accepté de me céder quelques kilos de ses fèves si particulières avec très peu d’amertume et une légère acidité qui rappelle les fruits rouges. Mais surtout, vous avez un chocolat d’une rareté et d’une qualité exceptionnelle. D’ailleurs, la Guyane a la particularité d’abriter une génétique de cacao bien à elle « le Guyana ».
Sur l’île de la Réunion, il existe une association de producteurs appelée Cacao Péi. Ils essaient de démarrer la culture du cacao sur l’île. Ils sont connus pour avoir une excellente qualité et il me tarde de le goûter !
PZ : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le « Bean to bar » ?
Gilles Quillot : La complexité de la transformation des fèves de cacao en chocolat et la nécessité d’investissements importants sur de nombreuses machines avaient, jusqu’à présent, condamné le chocolat à une production plutôt industrielle.
Le « Bean to bar », ou de la fève à la tablette est un élan assez récent à travers lequel des artisans produisent eux-mêmes le chocolat. Ils achètent les fèves à des coopératives dans les pays producteurs, torréfient et conchent* le chocolat dans leur manufacture artisanale.
(*Le conchage est un procédé d’affinage du chocolat par brassage à une température élevée : placé dans une cuve, ou conche, de plusieurs tonnes, le chocolat est brassé pendant plusieurs heures à haute température : 85 °C pour le chocolat blanc et dans les 40°C pour le chocolat noir et au lait. Étape garante de sa qualité, c’est grâce au conchage que le chocolat acquiert toute sa saveur puisque c’est lors de ce procédé que l’on ajoute le beurre de cacao, le sucre et éventuellement les épices.)
PZ : Qu’est-ce qui différencie la culture « Bean to bar » des autres cultures de chocolat ?
Gilles Quillot : Pour le vin, il ne nous viendrait pas à l’idée de mélanger un bordeaux avec un bourgogne. C’est pourtant ce qui est fait pour le chocolat. Peu importe la provenance, tout est mélangé, en ajoutant de la vanille et une large quantité de sucre, le chocolat est standardisé.
Dans la culture « Bean to bar », vous pouvez avoir des pures origines, éventuellement même des purs crus. La production artisanale nous permet de produire des petites quantités de chocolat avec des fèves issues d’une seule plantation qui donneront des chocolats avec un goût franc et moins conventionnel.
Mais surtout les artisans du chocolat peuvent s’affranchir de nombreux intermédiaires en achetant directement leurs fèves dans des coopératives agricoles.
Il est reconnu que sur une tablette de chocolat achetée dans un supermarché, il y a 11 intermédiaires entre le producteur de cacao et le consommateur. Avec ce chocolat, le prix du cacao ne représente que 6% du prix de la tablette.
Achetez votre chocolat chez un artisan du chocolat, ce sera une révolution pour votre palet et un geste en faveur du commerce équitable.
PZ : Comment choisir un bon chocolat ?
Gilles Quillot : En premier lieu, il faut choisir un chocolat pur beurre de cacao. Le pourcentage de cacao représente la quantité totale de cacao dans la tablette, c’est-à-dire la quantité de fève de cacao et le beurre de cacao ajouté. Dans une tablette à 75% de cacao, on sait qu’il y a 25% de sucre. L’amertume d’un chocolat n’est pas en relation avec le taux de cacao mais plutôt les origines géographiques et la génétique du cacaoyer.
Ensuite, c’est vraiment un choix personnel. La palette de saveurs dans une tablette de chocolat est tellement large : amertume, astringence, acidité, boisé, fumé, fruité, épicé, etc… chaque origine aura sa spécificité.
PZ : Quelle est votre recette signature à base de chocolat ?
Gilles Quillot : J’aime beaucoup préparer un entremet à base de bananes flambées et de chocolat de Guyane, c’est à tomber ou encore, une tarte au chocolat et citron vert avec le chocolat de Martinique du Carbet. Il y en a plein d’autres, il est difficile de choisir une recette en particulier.
Je produis aussi des petits bonbons de chocolat pour le café avec notre chocolat de Martinique. Il y en a un que j’aime particulièrement, c’est une pâte de fruit orange avec une ganache pain d’épices, trempé dans un chocolat à 75% du Lorrain, qui a naturellement un peu d’amertume.
PZ : Avec quelle épice associeriez-vous le chocolat noir, celui au lait, blanc ?
Gilles Quillot : Pour le chocolat noir, je pense à un autre de nos bonbons qui est un praliné noisette avec des graines de coriandre, trempé dans un chocolat de Martinique du Robert à 75%. Je n’aime pas le chocolat blanc et j’ai du mal avec le lait, que je peux associer avec le poivre passion.
PZ : Quelles est pour vous l’association de saveurs la plus insolite avec le chocolat pour un plat ?
Gilles Quillot : En saison, j’aime beaucoup utiliser le cabillaud, bien poêlé avec des fèves de cacao écrasées en guise de poivre, c’est vraiment très bon.
Lors d’un événement autour du fromage, un producteur britannique m’a proposé de faire un alliage tome de brebis avec du chocolat. J’ai goûté mais je n’ai pas été convaincu.
PZ : Quel serez votre mot gourmand de la fin ?
Gilles Quillot : Lorsque j’ai contacté le pôle agricole de l’Ambassade pour trouver du cacao français, je ne soupçonnais pas que j’allais découvrir un monde aussi intéressant, avec tant d’artisans producteurs de chocolat et des producteurs de cacao aussi passionnés. C’est une nouvelle histoire du cacao qui s’écrit.
Dernièrement, les scientifiques, après presque 30 ans de recherche se sont accordés pour ne plus reconnaître 3 formes de cacao originels, mais 10 grands groupes génétiques de cacao dont chacun renferme plusieurs sortes. C’est un travail colossal qui, je l’espère, sera au service du goût. Chaque forme génétique est adaptée à un type de région, un type de sol. Prenons garde à ne pas faire une sélection drastique afin de garder une certaine biodiversité. Assurons-nous que chaque type de cacao est acclimaté au lieu de production et privilégions l’agroforesterie si profitable au cacao et à la nature.
Je ne soupçonnais pas non plus, trouver un chocolatier, cueilleur de cacao en Guyane, trouver des Français absolument passionnés par le cacao du Vietnam.
Avec le chocolat, quand vous apprenez un détail c’est comme si quelqu’un vous ouvrait une immense porte sur de multiples connaissances et opportunités.
Pour finir, acceptons de payer un peu plus cher un chocolat de qualité, mais qui financera une filière locale de producteurs de cacao. Les scientifiques ont (re)classifié le cacao, à nous de (re)découvrir le vrai goût du chocolat !
Merci Gilles pour cet échange fort instructif et le temps accordé. Comme moi, j’espère que cette interview aura éveillé vos papilles et donné envie d’aller chez votre artisan chocolatier !
A Paris, je vous recommande Edwart Chocolatier pour son praliné curry et son chocolat noir au piment d’Espelette. Pour découvrir et déguster une sélection de chocolats du monde entier avec cette approche qualité de « Bean to bar », optez pour la box Raconte moi un chocolat. Enfin, Pour ceux qui aiment particulièrement le café : du café à croquer avec Carré de café (les fèves de cacao sont remplacées à 100% par du café Arabica du Brésil et ou du Moka d’Éthiopie).
Bonne dégustation 🙂
Princess Zaza
À propos
Rêveuse, idéaliste, curieuse et gourmande de la vie en général, j’aime partir à la découverte des nouveaux lieux gourmands et évènements culturels, mais aussi à la rencontre des gens à travers de nombreuses interviews et explorer de nouveaux horizons.
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