Certains l’accusent de tous les maux, d’autres en parlent comme une véritable école d’humanisme. Depuis trois siècles, la franc-maçonnerie, plus discrète que secrète, ne cesse d’intriguer autant qu’elle fascine.
On ne le répètera jamais assez : la franc-maçonnerie n’est ni une secte, ni une religion, ni une pensée dogmatique, ni un club d’influenceurs politiques ou économiques, ni faite pour les curieux. Au cœur de la démarche maçonnique, le questionnement, la réflexion et le cheminement en vue de l’élévation de l’esprit, la volonté de mieux se connaître pour mieux vivre en société, apprendre à penser par soi-même et développer son esprit critique. Entrer en franc-maçonnerie est un engagement personnel qui s’apparente à un voyage initiatique ou « une recherche spirituelle » selon Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France.
Je vous propose de partir à la découverte des grands principes de la franc-maçonnerie en France pour mieux la comprendre. Et aussi, de découvrir la vision d’un franc-maçon.
Principales obédiences et régularité
En France, on compte aujourd’hui plus de 180 000 maçons et maçonnes répartis en plusieurs obédiences. Parmi les principales obédiences, on peut citer : le Grand Orient De France, la plus ancienne obédience maçonnique française, de tendance laïque, qui s’intéresse aux questions de société, la Grande Loge de France, plus spiritualiste et philosophique qui repose sur le triptyque « tradition, spiritualité et humanisme », la Grande Loge Féminine ou encore le Droit Humain, obédience mixte la plus importante. On peut aussi mentionner la Grande Loge Nationale Française qui est la seule obédience reconnue par la Grand Loge Unie d’Angleterre et qui se distingue par un esprit plus traditionnaliste et conservateur.
Vous avez peut-être entendu parler de maçonnerie « régulière » mais sans trop savoir ce que c’est ? La « régularité » est une méthode de travail, c’est la manière dont les rituels sont pratiqués en loge. On distingue la maçonnerie régulière (ou traditionnelle) et celle libérale (ou sociétale).
Sont dites régulières, les loges dont les obédiences théistes exigent :
- la croyance en une transcendance (Dieu ou tout autre principe créateur, plus communément appelé « Grand Architecte »),
- la présence lors des tenues, sur l’autel dans la loge, d’un livre sacré dit Volume de la Sainte Loi ou de la Loi Sacrée (Bible, Torah, Coran, Granth,…), ouvert avec l’équerre et le compas,
- l’interdiction de toutes discussions politiques et religieuses,
- l’interdiction de tout contact avec les obédiences féminines ou mixtes.
La Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA) est considérée comme la « loge-mère » des Grandes Loges régulières dans le monde. Elle est très tournée vers le caritatif.
Les obédiences libérales quant à elles, rejettent les exigences de la maçonnerie régulière. C’est le cas du Grand Orient de France, qui s’est émancipé en abandonnant toute référence à Dieu en 1877. A l’époque, cela a provoqué un véritable schisme dans la franc-maçonnerie française. A partir de là, le Grand Orient a adopté la devise de la République : « Liberté, Egalité Fraternité » et intervient dans le débat public en vue de construire une société plus juste et plus solidaire.
L’approche régulière reste majoritaire au sein de la franc-maçonnerie française. La plupart des obédiences vénèrent « le Grand Architecte », Dieu, ou toute autre transcendance, quel que soit le nom qu’on lui donne.
A noter que la régularité diffère de la « reconnaissance » qui est une démarche qu’une Grande Loge peut entreprendre en vue d’obtenir et de se prévaloir de la qualité de «membre de la franc-maçonnerie régulière reconnue par la Grande Loge Unie d’Angleterre». Cette dernière ne reconnaît qu’une seule obédience régulière par pays. La reconnaissance est donc directement liée à la GLUA et non à franc-maçonnerie universelle. Par ailleurs, il faut en faire la demande. La régularité, n’entraîne pas la reconnaissance de plein droit.
Le saviez-vous ? Il existe plusieurs musées de la franc-maçonnerie en France, dont un à Paris qui depuis 2003, a reçu l’appellation « Musée de France ». Je vous invite vivement à le visiter et vous recommande d’opter pour une visite guidée. Elle vous permettra d’accéder à des temples maçonniques et voir l’intérieur d’un cabinet de réflexion. Voir le site : musée de la franc-maçonnerie
L’entrée en franc-maçonnerie : admission et initiation
L’entrée en franc-maçonnerie se déroule en deux temps. Il y a d’abord la phase d’admission qui comprend trois étapes : la candidature, l’enquête et le passage sous le bandeau (pratique assez répandue selon les rites et marquée par une série de questions) en vue d’une acceptation ou d’un refus. L’objectif est d’en savoir plus sur le candidat, ses valeurs, ses intentions, ce qu’il cherche en voulant entrer en maçonnerie ? et s’assurer qu’il s’est tourné vers la bonne loge.
Selon la formule consacrée, un des critères d’admission est que le candidat soit « libre et de bonnes mœurs ». Par-là, il faut comprendre : ne pas être enfermé dans une pensée dogmatique (être libre de conscience) et avoir une conduite respectable. Une fois admis, le profane devient récipiendaire et la phase d’initiation commence.
Le futur initié est invité à plonger en lui-même via « l’épreuve de la Terre » et passera un long moment dans le cabinet de réflexion (le nom peut varier en fonction des rites).
Il rédigera son « testament philosophique » dans lequel il exprimera sa vision de la vie et ce qu’il compte en faire ?
Le lieu favorise la méditation et le recueillement par la présence d’objets symboliques (cruche d’eau, pain, sablier, faux, crâne, miroir, bougie, coq, soufre, sel et mercure) et par des « sentences évocatrices » inscrites sur les murs (qui peuvent varier selon les rites). L’une des plus connues étant « Si une vaine curiosité t’a conduit ici, va-t-en ! » ou encore « VITRIOL » (acronyme latin pour Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem, en français : “Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée”).
Le passage dans le cabinet de réflexion constitue la première étape du processus initiatique maçonnique. Il symbolise la mort du récipiendaire pour renaître plus tard à la Lumière. Néanmoins, on peut se demander si le maçon ne vit pas toute sa vie dans un cabinet de réflexion ?
La suite des épreuves se déroule dans la salle de cérémonie du Temple où le futur initié est amené les yeux bandés, une manche défaite et un pied déchaussé, en vue d’être présenté à tous les membres de la loge rassemblés. On dit qu’il entre « ni nu, ni vêtu, dépouillé de tous ses métaux ». Je laisse la formule remplie de symbolisme à vos réflexions. Pour préserver la part de spontanéité et d’intimité qui s’attache de cette cérémonie, je n’en dirai pas plus mais soyez rassuré, tout se passe bien. 🙂 Au terme de cette cérémonie d’initiation, le récipiendaire reçoit « la Lumière », prête serment (comme à chacun des grades) et devient apprenti.
Les témoignages que j’ai pu lire ou voir dans des documentaires sont assez unanimes pour dire que la cérémonie d’initiation reste un moment très intime, « une sorte de révélation, dont on ne peut comprendre la portée si on ne l’a pas soi-même vécu.» selon la formule de Marc Rivolet (GLNF).
Le saviez-vous ? On parle de « tenues blanches ouvertes » pour désigner les réunions ouvertes aux profanes avec un orateur franc-maçon. Voulant faire œuvre d’ouverture, les obédiences en proposent aujourd’hui de plus en plus, ainsi que de nombreuses conférences. Si cela vous intéresse, allez vous renseigner sur les sites ou comptes Twitter des différentes obédiences. A noter qu’il existe aussi des « tenues blanches fermées » pour désigner des réunions avec un auditoire composé exclusivement de maçons et un orateur profane.
Le travail en loge, les rites et les grades
Chaque obédience maçonnique regroupe plusieurs loges au sein desquelles les francs-maçons se réunissent dans le cadre de « tenues » (réunions à huis clos). Les travaux en loge consistent principalement, et dans la majorité des loges, dans la lecture d’une ou deux réflexion(s) (« la planche »), rédigée(s) par un ou plusieurs franc(s)-maçon(s) sur un sujet particulier (histoire, philosophie, science, littérature, symbolisme…), et suivie d’une discussion.
Les travaux sont rythmés par des échanges codifiés selon des rituels bien spécifiques qui varient selon les rites. Un rite se définit comme un ensemble de pratiques gestuelles et orales codifiées qui garantissent l’ordre et le bon déroulement de la tenue, de son ouverture à la clôture des travaux. Ces rituels favorisent aussi la libre expression et l’écoute de chacun.
On peut donner comme exemple la triangulation de la parole : en loge, on ne prend pas la parole directement, on la demande en s’adressant au Premier ou au Second Surveillant qui porte la demande auprès du Vénérable Maître (qui préside la loge) et, on attend que le Vénérable Maître accorde la parole via l’un de ces mêmes Surveillants. On peut alors s’exprimer librement, sans être interrompu.
Parmi les différents rites qui existent, celui majoritairement pratiqué dans le monde et en France, est le Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA), élaboré par les Anglo-Saxons. En France, il est surtout utilisé à la GLNF, à la GLDF, à la GLFF et au Droit Humain. A noter que le REAA pour les « loges bleues » (qui réunissent les 3 premiers grades-voir ci-dessous) est une spécificité de la maçonnerie continentale. On peut aussi citer le Rite Français laïque, principalement utilisé au Grand Orient. Il y aussi le Rite Ecossais Rectifié (RER) d’essence chrétienne, des rites égyptiens comme le Rite Ancien et Primitif de Memphis Misraïm (RAPMM, exposition à venir au musée de la franc-maçonnerie à Paris), le Rite Anglais de Style Emulation qui est l’un des plus pratiqués en Angleterre, peu en France et qui se caractérise par une extrême rigueur, il doit être appris par coeur et il est davantage dédié à la tenue de cérémonies plus que la lecture de planches.
La richesse et la diversité des rites sont aussi présentes au niveau du parcours maçonnique.
Les trois premiers grades (ou degrés) sont universels (communs à tous les rites) et administrés par les obédiences elles-mêmes : apprenti, compagnon et maître.
A chacun correspond un âge symbolique décompté en 3, 5 et 7 années. Ce temps permet d’assimiler les enseignements à chaque grade, avant d’envisager un éventuel perfectionnement. On dit que ces 3 premiers grades sont propédeutiques (qui préparent à une étude plus approfondie).
Certains rites ont ajouté d’autres grades. C’est le cas du REAA qui en a ajouté 33 ! Ces hauts grades (« side degrees » en anglais) – du 4ème (Maître Secret) au 33ème– (Souverain Grand Inspecteur Général) – ne peuvent être administrés que par des organismes spécifiques, les Suprêmes Conseils, qui choisissent « ces élus » dans les « loges bleues » (celles qui réunissent les trois premiers grades d’apprenti, compagnon et maître). Le Rite Français quant à lui, ne comporte que 4 hauts grades : Maître Élu, Maître Écossais, Chevalier d’Orient et Chevalier Prince de Rose-Croix. Et on trouve jusqu’à 99 degrés dans certains Rites Egyptiens !
Pour certains, ces hauts-grades relèvent plus de la « politique de cordon et de l’égo maçonnique ». Le coeur de la franc-maçonnerie serait dans les trois premiers grades. Quoi qu’il en soit, je me dis qu’avant d’envisager de monter en grade, le maçon doit d’abord s’assurer que la base, les fondements de son Temple (= les 3 premiers grades) sont solides. A bien y réfléchir, on peut aussi se demander si le franc-maçon n’est pas un éternel apprenti, quel que soit son grade, car le cheminement maçonnique suppose un travail continu sur soi (sans tomber dans la psychothérapie), c’est l’aventure de toute une vie !
Le saviez-vous ? A la fin des travaux, dans certaines loges pratiquant le REAA (rarement dans les autres rites), le Vénérable Maître procède à « l’extinction des feux » en disant : Que la paix règne sur la terre ! Le 1er Surveillant : Que l’amour règne parmi les hommes ! Le 2nd Surveillant : Que la joie soit dans les cœurs ! Mais comment définir cette joie ? Quel sens lui donner ? Pour nourrir vos réflexions, je vous conseille le livre de Jean-Pierre Thomas, historien, Grand Officier à la Culture de la GLDF et spécialiste de la franc-maçonnerie écossiste : Que la joie soit dans les cœurs.
De l’importance des planches
Vous le savez maintenant, dans la plupart des loges, les maçons planchent ! Il n’y a pas de quantité requise, les planches sont souvent spontanées, sauf pour les apprentis et les compagnons, qui ont des planches obligatoires, appelées « planches de passage ».
Pour les apprentis, selon les rites, le processus de lecture des planches peut varier : elles sont parfois lues dans le cadre d’ateliers spécifiques, sous l’encadrement du second Surveillant, au Grand Orient, elles sont lues en tenue, dans certains rites, c’est même debout par coeur. L’une des premières planches que l’on pourrait demander à un apprenti est de donner ses impressions sur l’initiation et revenir sur ce qu’il a vécu.
Les planches constituent un exercice essentiel dans le travail maçonnique, c’est une invitation à la réflexion personnelle. Pour le maçon, écrire des planches est une manière de tailler sa pierre en apportant sa réflexion personnelle sur un sujet donné. Si on fait un parallèle avec le processus d’initiation, on peut dire que le maçon écrit sa toute première planche dans le cabinet de réflexion avec son « testament philosophique ». Puis, planche après planche, symboliquement il dégrossit sa pierre, la polit et, pierre après pierre, construit son Temple intérieur.
C’est pourquoi la franc-maçonnerie n’est pas non plus une méthode d’enseignement : les francs-maçons sont des chercheurs de Vérité. Elle ne s’impose pas à eux, à chacun de trouver sa Vérité.
Même si l’écriture d’une planche nécessite souvent de faire des recherches, ce n’est pas un travail universitaire ni académique. Il ne s’agit ni d’écrire un article encyclopédique, ni une dissertation avec une thèse, antithèse et synthèse. L’objectif est vraiment de développer son propre point de vue à sa façon, de partager sa vision unique et libre sur une question. Pour cela, il faut « descendre en soi », aller « de la tête au cœur ». J’imagine que c’est comme une introspection. Je me dis qu’écrire une planche permet d’apprendre à penser par soi-même et de prendre le temps d’amener sa réflexion plus loin.
Le saviez-vous ? On parle souvent de secrets maçonniques (sur ce point, je vous invite à regarder la vidéo d’Inspirations Maçonniques : les 3 secrets des francs-maçons) mais finalement en quoi consiste le véritable secret maçonnique ? Rogez Dachez, président de l’Institut Maçonnique de France nous en parle : « [le vrai secret maçonnique] Ce n’est pas le secret des rituels et des symboles, ni celui de l’appartenance, c’est ce qui se passe dans l’esprit, dans l’âme et dans le coeur de chaque franc-maçon à mesure que dans sa vie, il approfondit sa démarche maçonnique. » Ainsi, les travaux maçonniques, associés aux rituels, aux efforts de compréhension et de sérieux dans la démarche, permettent au maçon de découvrir progressivement le véritable sens du « secret maçonnique » (on pourrait d’ailleurs faire un parallèle avec la pratique des arts martiaux : humulité, discipline et rigueur).
Les symboles
Traditionnellement, on dit que les francs-maçons travaillent, symboliquement « de midi à minuit ». En franc-maçonnerie, c’est bien connu, tout est symbole. Par cela, il faut entendre à la fois un langage universel qui peut être compris par tous les francs-maçons dans le monde, quel que soit leur langue, et aussi une invitation constante à la réflexion personnelle.
Parmi les symboles les plus importants, ceux qui font référence au métier de tailleur de pierre (au sens de bâtisseur) : l’équerre représente la droiture, la rectitude morale, le compas pour la loyauté, la mesure que tout franc-maçon doit adopter dans son comportement, le maillet et le ciseau pour la force et le discernement dans l’homme en devenir, ou encore cette abréviation « A.L.G.D.G.A.D.L.U. » pour « A La Gloire Du Grand Architecte de l’Univers ». Ce « Grand Architecte » peut représenter « la conscience, Dieu ou tout principe créateur, puisque « l’interprétation des symboles est libre. » comme le précise Marc Henry, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France.
Attardons nous un peu sur la symbolique des temples maçonniques, lieu où se déroulent les travaux. Souvent inspirés par le modèle du temple de Salomon à Jérusalem, on y découvre un décor et un ordonnancement très précis qui symbolisent cette construction intérieure et universelle, ce passage de l’ombre à la Lumière, de l’ignorance à la connaissance. A noter que la disposition dans le temple peut varier selon les rites.
Dans le rite REAA, à l’entrée du temple, toujours située à l’occident, on trouve deux colonnes marquées J et B (initiales de Jakin et Boaz, noms des piliers du temple de Salomon) qui symbolisent le passage du profane au sacré. Les frères s’assoient face à face dans le prolongement de ces colonnes. Leur place dépend de leur grade : les apprentis du côté B, le moins éclairé, au Nord, car ils sont là avant tout pour apprendre, ils n’ont pas droit à demander la parole. Ce silence a pour but de favoriser l’écoute, l’observation, la réflexion, le discernement et éviter les bavardages ou les interventions inutiles. Les compagnons s’assoient du côté J, plus près de la lumière, au Sud. Les maîtres quant à eux, s’installent où ils veulent.
Au centre, trois piliers, dont la représentation varie selon les rites. Dans le REAA, ils sont la Force, la Sagesse et la Beauté, en écho aux trois fondamentaux du principe créateur. Dans le Rite Français : le Soleil, la Lune et le Vénérable Maître. A cet endroit, on découvre également un pavé mosaïque au sol qui est le pendant terrestre de la voûte étoilée qui orne le plafond et représente le monde de l’esprit. Ce damier alternant carreaux noirs et blancs évoque la dualité du monde, de la vie mais aussi sa complémentarité, à l’image du Ying et du Yang. Le labyrinthe est aussi sous-jacent dans le damier, en rappelant que chacun est à la recherche de son chemin personnel.
Au fond du temple se tient le Vénérable Maître, installé à l’Orient, du côté où le soleil se lève, sous l’œil de la Providence ou « œil omniscient » (delta lumineux en forme de triangle avec un œil au centre, qui représente la conscience, le principe créateur). Il préside la loge, planifie le calendrier des tenues, dirige les travaux sous la voûte étoilée. Au pied de l’estrade, d’un côté une pierre brute et de l’autre une pierre taillée, en symbole de la structuration progressive de l’esprit du franc-maçon, incarnation de l’idéal maçonnique.
Après les travaux, place aux agapes, moment de convivialité autour d’un verre où l’on partage une collation. Je le redis : les francs-maçons sont aussi de bons vivants et je ne pense pas que Pierre Mollier soit le seul (dédicace à @Hervé H-Lecoq s’il lit cet article ;)) . Il y a même quelques joyeux galopins qui se reconnaîtront ! 😉
Le saviez-vous ? En franc-maçonnerie, par exemple dans le REAA et le Rite Français, « tuiler ou couvrir » signifie, vérifier qu’une personne qui se présente comme franc-maçon à la porte d’un temple l’est vraiment, et à quel grade. C’est un officier de la loge, le « tuileur ou couvreur », qui procède à ces vérifications via un échange de questions/réponses, garantissant ainsi que le temple est « couvert », c’est-à-dire à l’abri des profanes.
La franc-maçonnerie aujourd’hui : rencontre avec Inspy
Pour aller plus loin et encore mieux comprendre ce qu’est la franc-maçonnerie, je suis allée à la rencontre d’Inspy, un maçon qui, vous le découvrirez en lisant son interview, utilise avec brio les réseaux sociaux dans une démarche d’ouverture et de vulgarisation auprès du grand public.
Quel message principal la franc-maçonnerie souhaite délivrer ?
Inspy : La question suggère une franc-maçonnerie avec une vision commune. Or, une des particularités françaises, c’est la diversité des approches qui se retrouve dans la diversité des obédiences. Et parfois même, des visions différentes dans les loges d’une même obédience. Cela fait autant de définitions de la franc-maçonnerie. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui vous diraient que la franc-maçonnerie n’a pas de message à délivrer car c’est avant tout un travail personnel sur soi.
Pour ma part, j’aime beaucoup une phrase utilisée dans la franc-maçonnerie anglosaxonne : « Making Good Men Better« . Je pense que tous les courants français sont en accord avec ça, sous réserve que l’on ajoute « women » bien sûr !
Comment définiriez-vous les devoirs et la responsabilité d’un franc-maçon ?
Inspy : Pour moi, le devoir principal est vis-à-vis de nous-même, c’est le travail intellectuel, il nous faut fuir la paresse intellectuelle ainsi que nos a priori. Un franc-maçon doit toujours savoir se remettre en question et progresser. Il est toujours en mouvement.
Le deuxième devoir est plutôt tourné vers les autres membres de notre loge, c’est la transmission. Transmettre ce que nous avons compris ou cru comprendre. Mais surtout, transmettre ce que l’on pourrait appeler « la méthode maçonnique », surtout aux apprentis et compagnons, pour qu’ils deviennent des maîtres aguerris et puissent transmettre à leur tour. A l’image des constructeurs de cathédrales, nous savons que l’œuvre à laquelle nous travaillons ne sera jamais achevée de notre vivant, voir ne le sera simplement jamais puisque c’est une utopie. Il nous faut donc préparer notre suite, que d’autres puissent reprendre le flambeau aussi bien que nous, et si possible mieux encore.
Le troisième devoir est vis-à-vis de l’extérieur, nos familles d’abord et au-delà. A quoi servirait de travailler sur soi, de tenter d’être quelqu’un de meilleur si c’est pour vivre renfermer sur soi ? Si c’est pour se comporter comme un malpropre ? La plupart des frères et sœurs que je connais s’investissent dans des activités bénévoles de tout ordre. Après il ne faut pas rêver, on a nos brebis galeuses comme partout et l’actualité récente nous l’a rappelé.
Pour finir, je pense que chaque franc-maçon et franc-maçonne a une responsabilité de taille vis-à-vis de la franc-maçonnerie en général et de sa loge en particulier. En effet, chacun est un porteur de l’héritage de ce qu’est la franc-maçonnerie. Pèse donc sur ses épaules sa pérennisation. Nous en sommes tous responsables.
Peut-on dire que la loge est comme «une forme de tribu postmoderne où l’individu grandit grâce aux autres» selon l’expression du sociologue Michel Maffesoli ?
Inspy : Je n’ai pas lu son livre mais j’ai pu en trouver un résumé qui m’a donné envie de m’y plonger. Je pense que je partage certains de ses points de vue.
En ce qui concerne la notion de « tribu postmoderne », elle appartient au champ lexical de la sociologie qu’il maîtrise mieux que moi, je dirai donc oui de manière générale. Pour ce qui est du fait de grandir, je suis aussi d’accord, indépendamment de l’âge où nous sommes entrés en franc-maçonnerie. Par contre, je suis plus réservé sur la dernière partie de sa définition « grâce aux autres ». Car même si la franc-maçonnerie fonctionne par groupes – les loges -, que ce groupe est fondamental dans le parcours et la reconnaissance du statut de franc-maçon, je mettrais un bémol sur le « grâce à ».
Déjà parce que cela pourrait faire croire que ce sont les autres qui vont faire le nécessaire. Cela dédouane du travail personnel à réaliser. Pousse à se laisser porter, comme on le voit parfois. Pour moi, c’est aller à l’encontre du travail maçonnique que chacun doit opérer. On pourrait dire « grâce au travail personnel et à celui des autres ». J’aime bien cette définition ainsi. Cela dit, cela ne rendrait pas compte de tous les courant maçonniques, certains estimant que le fait de grandir n’est que du ressort de l’individu, le groupe n’ayant pas cette fonction.
En quoi l’Institution Maçonnique peut-elle revendiquer une tradition de modernité ?
Inspy : Là encore la diversité des postures des obédiences empêche une réponse simple. Certaines se positionnent comme progressistes avec une idée forte de faire évoluer leurs pratiques en même temps que la société évolue. D’autres veulent garder la dimension traditionnelle au plus proche de la pratique du 19ème siècle, et d’autres encore veulent marier les deux.
Dans le passé, certaines obédiences ont été à l’avant-garde de la modernité de leur temps, portant des idées nouvelles, encore peu répandues dans la société.
Pour ma part, la franc-maçonnerie a, intrinsèquement, une modernité intemporelle. Si je reprends « Making Good Men Better », cette phrase ne deviendra désuète que quand nous serons tous parfait…donc jamais. Et surtout pas à notre époque où les sujets sur le développement personnel fleurissent tous azimuts.
De manière plus légère, il y a une dizaine d’années, je soulignais dans une planche la très grande modernité de notre fonctionnement : grâce au travail on gagne de l’expérience, quand on a acquis suffisamment d’expérience on passe au niveau supérieur, niveau marqué par une cérémonie et une tenue différente. En plus, on a des épées et toute une histoire qui se dévoile petit à petit au fur et à mesure de notre progression. Ce fonctionnement parlera certainement aux joueurs de jeux vidéo, notamment de RPG (Role Playing Game : un RPG est un jeu de rôle dans lequel le joueurs incarne un personnage qu’il fera évoluer au cour du temps).
Comment expliquer que la franc-maçonnerie fasse toujours l’objet de tant de mystères et de défiance, voire de soupçons de complotisme dans le grand public ?
Inspy : Ce qui me surprend le plus c’est que la plupart des théories complotistes ne sont que des reprises de théories fumeuses du 18ème siècle, voire des théories de Léo Taxil (1854 – 1907) qui a pourtant révélé de son vivant la supercherie. Avec une touche de complot judéo-maçonnique « superbement » illustré dans les protocoles des Sages de Sion, un célèbre faux de 1903. Que toutes ces théories circulent à des moments de l’histoire où l’information est peu disponible je peux comprendre, mais à l’heure d’internet, où il suffit de 3 clics pour vérifier que non au 29ème (ou 30ème selon la version de la théorie) du REAA il n’y a pas d’invocation à Lucifer, ou toute autre théorie scabreuse, cela dépasse mon entendement. Mais les thèmes sulfureux amènent toujours des voyeurs qui, pris dans la bulle informationnelle des réseaux sociaux, ne font que renforcer leur biais de confirmation. N’oublions pas qu’une Fake News se diffuse 6 fois plus vite qu’une vraie information. Une information qui sent le soufre est toujours plus attrayante à partager. Et ne soyons pas naïfs, cela rapporte pas mal d’argent à ceux qui font circuler ces folles théories.
Je pense néanmoins que les franc-maçons ont leur part de responsabilité dans tout ça. Ordre discret de tradition orale, aucun rituel officiel n’a été publié pendant quasiment un siècle après sa création, laissant la place à de nombreuses « divulgations » antimaçonniques pendant le 18ème siècle. Terreau des théories actuelles. Et d’une manière générale, la franc-maçonnerie voit souvent avec dédain ces attaques. Cela peut se comprendre : c’est tellement farfelu, sans aucun fondement, qu’on ne perd même pas de temps à répondre. Surtout que parfois les auteurs eux-mêmes de ces théories se rétractent avec le temps. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, où les francs-maçons ont été persécutés, on comprend que la discrétion est devenue plus encore un mode de fonctionnement. En France en tout cas, il en est bien différemment en Angleterre par exemple. Aujourd’hui l’antimaçonnisme reprend force et notre effacement leur fait gagner du terrain. Nous devrions être plus visibles, non pour nous pavaner ou satisfaire un ego mal placé mais simplement pour expliquer clairement notre engagement et nos pratiques. Lutter contre l’obscurantisme.
Qu’est-ce qui vous a poussé à initier une démarche d’ouverture autour de la franc-maçonnerie ?
Inspy : Comme je le disais, j’estime que le manque de communication est le terreau fertile de la méfiance, des phantasmes ainsi que des théories les plus folles.
Sur cette approche, j’ai été à bonne école. Je suis entré en franc-maçonnerie dans la seule loge du GODF de Paris/IDF qui avait son site en 2000. C’était la volonté du Vénérable Maître de l’époque. Un frère exceptionnel comme on en rencontre peu dans sa vie maçonnique. Qui sait allier rigueur du travail symbolique, de la transmission ainsi que la modernité et l’ouverture que la franc-maçonnerie doit avoir. Quelques années plus tard, il est devenu Conseiller de l’Ordre, en charge de la communication. C’est notamment lui qui a mis en place l’intranet du GODF, son site web axé sur la vidéo et l’ouverture de la chaîne YouTube de l’obédience. Le tout, il y a plus de 15 ans. Travaillant dans l’univers du numérique je l’ai, à ma petite échelle, accompagné dans ces projets.
En 2005, j’avais lancé un blog, notamment pour partager les réponses aux questions que je recevais sur le site de la loge que j’administrais. J’ai arrêté ce site environ un an plus tard car il devenait trop chronophage pour moi. Mais surtout, de nombreux blogs s’étaient ouverts et relayaient, au moins aussi bien que moi, l’extériorisation de la franc-maçonnerie qui me tenait à cœur avec beaucoup plus de contenus.
Me concentrant sur ma famille, ma carrière et mon parcours maçonnique, je me suis désintéressé de la communication maçonnique. Lors du premier confinement, ayant plus de temps qu’à l’accoutumée et n’ayant plus de tenues maçonniques, je me suis dit que j’allais voir sur les réseaux sociaux où en était l’extériorisation. J’ai été très surpris par ce que j’ai vu : de très nombreux blogs s’étaient ouverts, avec de très bons contenus, quelques solides groupes Facebook avaient émergé. Mais sur Twitter et surtout Instagram, il n’y avait presque rien au-delà des obédiences. Pour Instagram, on parle d’un réseau social qui a plus de 10 ans, même Tiktok n’est plus si jeune avec ses 5 ans. Je n’ai pas retrouvé le vent de modernité qui soufflait il y a 15 ans, j’ai donc voulu apporter ma petite pierre à l’édifice.
J’ai donc ouvert en parallèle 3 comptes :
- Inspirations_maçonniques sur Instagram pour partager mon vécu maçonnique, mes sources d’inspiration et aussi répondre aux questions. Depuis quelques mois, je relaye d’ailleurs les questions des abonnées aux Grands-Maîtres qui se prêtent au jeu,
- Debunk Franc Maçonnerie sur Twitter pour partager des informations méconnues sur la franc-maçonnerie, plutôt à destination des initiés. Et répondre régulièrement à quelques théories fumeuses,
- Inspirations_maçonniques sur Tiktok qui balbutie.
Depuis le 15 mai, j’ai aussi lancé une chaîne Youtube : révélations maçonniques, grâce à jkn.bd au dessin et Savinien au montage. C’est une chaîne de vulgarisation où je traite dans des vidéo courtes, si possible drôles, d’un thème spécifique de la franc-maçonnerie.
Quelles lectures, comptes Twitter, blogs,…..conseillez- vous à un profane qui souhaiterait s’informer à propos de la franc-maçonnerie ?
Inspy : Il y a beaucoup de bons contenus sur le net comme dans les livres. Mais aussi beaucoup de contenus faux, confus, idéologiques,… J’ai personnellement perdu beaucoup de temps avec ce type de contenus.
C’est pourquoi je recommande maintenant une approche méthodique dans le cheminement des lectures sur le sujet. Pour bien débuter, je conseille les livres dédiés à la franc-maçonnerie de la collection « Que sais-je ? » aux éditions des Presses Universitaires de France. Particulièrement La Franc-Maçonnerie et l’Histoire de la Franc-Maçonnerie Française. Le grand avantage de ces livres c’est la présence d’une bibliographie, généralement par chapitre, qui permet ensuite de suivre un cheminement personnel au travers de livres sérieux.
Je recommande aussi la lecture des sites web des obédiences qui, généralement, ont un contenu riche et parfois des liens vers des vidéos. Cela permet de se faire une idée plus juste des courants qui existent dans la franc-maçonnerie française.
Je conseille aussi souvent La Franc-Maçonnerie pour les nuls, en passant les passages qui spoilent ce que l’on découvrira en rentrant pour ceux qui souhaitent un jour en faire partie. Je recommande aussi Grand O d’Alain Bauer que j’avais beaucoup apprécié lors de sa sortie.
Sur Twitter et plus généralement les réseaux sociaux, outre les sites des obédiences, quelques comptes proposent du contenu intéressant, mais surtout sont prêts à répondre aux questions des profanes. Je pense notamment à @mesureur357 ou @_Franck_Masson_ pour les plus suivis et aussi la chaîne YouTube d’Hervé H. Lecoq. Il y en a bien d’autres mais il serait trop long de les citer ici.
Pour conclure, je vous propose de choisir 3 mots qui pour vous, symbolisent le plus l’engagement maçonnique.
Inspy : Je dirais travail, fraternité et transmission et j’en ajouterais un quatrième pour : « Making Good Men Better ».
J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cet article et j’espère que cette découverte de la franc-maçonnerie vous aura intéressé. Je remercie Inspy d’avoir pris le temps de répondre à l’interview et vous invite à le suivre sur les réseaux sociaux : Twitter, Instagram, YouTube et TikTok.
Je terminerai avec cette phrase de Galilée qui je trouve, résume bien la démarche maçonnique : « On ne peut rien enseigner à autrui. On ne peut que l’aider à le découvrir lui-même. »
Pour ceux qui comme moi sont fans de mèmes, je vous recommande ce compte Instagram : Mesureur357 .
J’ai aussi repéré le livre d’Eric Gregor* : La Franc-Maçonnerie n’existe pas – Lâchez-moi le tablier !, un voyage en franc-maçonnerie raconté par un franc-maçon lui-même. (ou * E. Gregor, un nom rempli de symbolisme qui renvoie à l’égrégore, cette alchimie de groupe particulièrement intense qui peut exister pendant les travaux).
Enfin, voici un ouvrage de référence en matière de temples maçonniques : A la découverte des temples maçonniques de France, illustré avec les superbes photos de Ronan Loaëc.
PS : n’étant pas franc-maçonne, les informations dans cet article sont le fruit de lectures, recherches et de mes convictions. J’espère avoir correctement expliqué les grands principes de la franc-maçonnerie en France. Si des lecteurs initiés pensent qu’il y a des choses à corriger, je serais ravie qu’ils me le fassent savoir.
Pour accéder aux autres articles en lien avec la franc-maçonnerie : Franc-maçonnerie. (pour ceux qui se poseraient la question : l’itw du journaliste de BBC Afrique n’a rien à voir avec la franc-maçonnerie, cela relève des mystères de la linguistique).
Princess Zaza
À propos
Rêveuse, idéaliste, curieuse et gourmande de la vie en général, j’aime partir à la découverte des nouveaux lieux gourmands et évènements culturels, mais aussi à la rencontre des gens à travers de nombreuses interviews et explorer de nouveaux horizons.
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